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permettait de rire aux dépens des Parisiens. Voltaire, d’ailleurs, veillait habituellement à ne le laisser en ce genre chômer de rien ; seulement, cette fois, les envois de Voltaire ne furent pas complets, car il eut soin de n’y pas comprendre les lettres édifiantes qu’il avait écrites, avant le combat, aux représentans de l’église à l’Académie, pour les fléchir. Mais Frédéric, qui avait plus d’un collectionneur à son service, les avait eues de première main, et en répondant à Voltaire soi-disant pour le consoler de son échec, il ne manqua pas, suivant son habitude charitable, de lui retourner le poignard dans la plaie. Dans des vers moins mal tournés que ne l’étaient d’ordinaire ses essais de poésie française, il le raillait sans pitié de ses accès subits de dévotion.

Depuis quand (disait-il), Voltaire,
Êtes-vous donc dégénéré ?
Chez un philosophe éclairé
Quoi ! la grâce efficace opère !
Par Mirepoix endoctriné
Et tout aspergé d’eau bénite,
Abattu d’un jeûne obstiné,
Allez-vous devenir ermite ?
..........
Je vois Newton du haut des cieux,
Se disputant avec saint Pierre,
Auquel en partage des deux
Pourrait enfin tomber Voltaire.
..........
Mais quel objet me frappe, ô dieux !
Quoi ! de douleur tout éplorée,
Je vois la triste Châtelet :
« Hélas ! mon perfide me troque.
Dit-elle, il me plante là, net,
Pour qui ? Pour Marie Alacoque ! »

« C’est ce que je présume du moins, ajoutait-il, par la lettre que vous avez écrite à l’évêque de Sens… Les Midas mitres triomphent donc des Voltaire et des grands hommes ! Je crois que la France est le seul pays où les ânes et les sots fassent à présent fortune. » En terminant cependant, pour adoucir la plaisanterie par un témoignage de confiance, il lui envoyait l’avant-propos de son Histoire de la campagne de Silésie, à laquelle il travaillait déjà dans ses momens perdus. Ce n’était qu’une première ébauche, et il y exposait avec une crudité naïve (fort adoucie dans les textes suivans) les motifs d’ambition et de pure convoitise qui l’avaient déterminé à se jeter sans droit sur le patrimoine de Marie-Thérèse.

On conçoit à la rigueur que Voltaire avait trop d’affaires à Paris et