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lui dit-elle, vous parlez de mes appas : qu’en feriez-vous si vous en étiez le maître? — Madame, dit Voltaire en se jetant à ses pieds, je les adorerais[1]. »

Mais Voltaire était loin de compte s’il ignorait que le roi était d’autant plus empressé à rendre des hommages extérieurs à la religion qu’il mettait dans sa conduite personnelle moins de scrupule à en observer les préceptes. Il n’eut garde d’entrer en lutte, pour un sujet qui touchait si peu son indifférence, avec des hommes qu’il respectait et de qui il avait beaucoup à se faire pardonner. Si les gens religieux, d’ailleurs, furent peu touchés des pieuses courbettes de Voltaire, le public en fut à la fois diverti et dégoûté, et on eut moins de peine qu’on en eût peut-être éprouvé, sans cette fausse manœuvre, à trouver un candidat à lui opposer. A la vérité, plusieurs à qui on avait songé, l’archevêque de Narbonne entre autres, se refusèrent à une concurrence qui avait son côté ridicule et, Voltaire se flatta même un instant qu’il allait prendre la place par famine. Mais en ce genre, quand on cherche, on trouve toujours, et jamais la crainte de faire trop mauvaise figure n’a empêché un sot ou un intrigant de prétendre à une place vacante. Dans le cas présent, celui qui se sacrifia fut l’abbé de Luynes, frère du duc et, par là même, très bien en cour. Le jour de l’élection, pas une voix ne lui manqua, et on l’aurait même reçu d’emblée, dans la séance si, avec une modestie digne d’éloges, mais peut-être un peu tardive, le nouvel élu n’avait demandé le temps de préparer son discours, le sujet qu’il avait à traiter étant d’une trop grande étendue pour ne pas mériter beaucoup de réflexions[2].

L’irritation de Voltaire, comme on le pense bien, fut portée au comble et se traduisit, ainsi que c’était son ordinaire, par un déluge d’épigrammes, en vers, en prose, par écrit ou en conversation, plus mordantes les mies que les autres, et chacune d’elles contenant une plaisanterie qui emportait la pièce. La meilleure, sans contredit, fut celle qui, dénaturant la signature connue de Boyer (l’anc, évêque de Mirepoix), faisait de lui, par un sobriquet qui lui resta toute sa vie, l’âne évêque de Mirepoix. Naturellement, toutes ces facéties étaient expédiées par chaque courrier à Frédéric, très curieux de tout ce qui faisait rire à Paris et aussi de tout ce qui lui

  1. Voltaire, Mémoires. — Journal de Barbier, t. VIII, p. 370. — Le récit de Voltaire a fait l’objet de beaucoup de contestations ; Maurepas notamment s’est toujours défendu de lui avoir fait la réponse brutale qui lui est prêtée et qui effectivement n’est pas conforme au caractère connu de ce ministre. Il est à remarquer que Voltaire appelle toujours dans ce passage Mme de La Tournelle, la duchesse de Châteauroux, titre qu’elle ne porta que quelques mois plus tard.
  2. Mémoires du duc de Luynes, t. IV, p. 452.