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les ressources que pouvait lui fournir la prodigieuse variété de son esprit, servie par une souplesse de conscience au moins égale. Le plus loyal, le plus légitime de ses moyens de défense, celui qui, en bonne justice, aurait dû vaincre toutes les résistances, ce fut l’immense succès qu’il sut obtenir pour sa pièce de Mérope, représentée pour la première fois le 21 février de cette année. Jamais triomphe dramatique ne fut plus complet, et le mérite en fut d’autant plus grand que la pièce, réellement belle, était d’une sévérité très rare au théâtre, puisque le mot même d’amour n’y était pas prononcé. Le nom de l’auteur fut salué par des cris d’une admiration frénétique : « On m’est venu prendre, écrit Voltaire lui-même, dans une cache où je m’étais tapi, et on m’a mené de force dans la loge de la maréchale de Villars, où était sa belle-fille. Le parterre était fou : il cria à la duchesse de Villars de me baiser, et il a fait tant de bruit qu’elle a dû en passer par là. J’ai été baisé publiquement, comme Alain Chartier par Marguerite d’Ecosse, mais il dormait, et moi j’étais fort éveillé[1] ».

Quelque austère pourtant que fût une pièce de théâtre, ce n’était pas là un titre qui suffît pour désarmer l’opposition des Boyer et des Lenglet. Voltaire, qui ne s’y trompait pas, prit son parti, sans hésiter, de leur envoyer à l’un et à l’autre une profession de foi franchement et même dévotement catholique : « Il y a longtemps, monseigneur, écrivait-il à Boyer, que je suis persécuté par la calomnie et que je la pardonne. Je sais que, depuis Socrate jusqu’à Descartes, tous ceux qui ont eu un peu de succès ont eu à combattre les fureurs de l’envie. Quand on n’a pas attaqué leurs ouvrages ou leurs mœurs, on s’est vengé en attaquant leur religion. Grâce au ciel, la mienne m’apprend à savoir souffrir. Le Dieu qui l’a fondée fut, dès qu’il daigna être homme, le plus persécuté de tous les hommes. Après un tel exemple, c’est presque un crime de se plaindre. Corrigeons nos fautes et soumettons-nous à la tribulation comme à la mort… Je puis dire devant Dieu qui m’écoute que je suis bon citoyen et vrai catholique, et je le dis uniquement parce que je l’ai toujours été dans le cœur… Mes ennemis me reprochent je ne sais quelles Lettres philosophiques ; j’ai écrit plusieurs lettres à mes amis, mais jamais je ne les ai intitulées de ce titre fastueux : celles qu’on a imprimées sous mon nom ne sont pas de moi ; j’ai des preuves qui le démontrent. »

Et à Lenglet : « J’ai écrit contre le fanatisme, qui, dans la société, répand tant d’amertume, et qui, dans l’état politique, amène tant de troubles, mais plus je suis ennemi de cet esprit de faction, d’enthousiasme,

  1. Desnoiresterres.