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Dans le cours de ces transactions si nombreuses, qui se croisèrent ainsi en tous sens pendant cet été de 1743, on s’étonnera sans doute de ne plus voir reparaître le nom de Frédéric. Avait-il donc cessé de se regarder lui-même et d’être, au fond, regardé par tout le monde comme l’arbitre véritable de la situation? Cessait-on, à Londres comme à Paris, d’appeler son intervention? En aucune manière; sa pensée était toujours présente à tous les esprits et tous les regards étaient encore tournés vers lui avec un mélange de crainte et d’espérance. Seulement une telle incertitude planait sur les véritables sentimens de Frédéric, de telles contradictions régnaient dans ses discours et sa parole inspirait si peu de confiance, que personne n’osait plus l’interroger. Jamais même cette incohérence de langage, suite de la perplexité de son esprit, n’avait plus étonné ses auditeurs et rendu la conversation avec lui plus difficile que depuis qu’il avait appris l’issue douteuse de la journée de Dettingue, si tristement commentée par la retraite de l’armée de Bavière. Ce résultat, contraire à toutes ses prévisions, paraissait le jeter dans un véritable égarement. Au premier moment, ce n’étaient dans sa bouche qu’invectives et épigrammes contre les généraux français : « Ne me parlez plus des Français, s’écriait-il, je ne veux plus entendre nommer leur nom; je ne veux plus qu’on me parle de leurs troupes et de leurs généraux. Voyez où j’en serais si je m’étais embarqué avec ces gens-là. On sera habile si on m’y rattrape ! » Mais, peu de jours après, craignant évidemment de faire lui-même la partie trop belle à la reine de Hongrie et à ses alliés : « Voilà bien du bruit pour peu de chose, reprenait-il, et bien des gens tués inutilement. Cette victoire tant criée du roi d’Angleterre se réduit au seul champ de bataille qu’il a maintenu, et perte égale des deux côtés. » Puis venaient des plaisanteries impitoyables sur l’attitude gauche et la bravoure douteuse du roi George, et l’indiscipline des troupes anglaises : « Vos gens vont mourir de faim, disait-il à Hyndford; ils ne vivent que de pillage. » Et comme l’envoyé anglais assurait que le roi d’Angleterre avait déjà ramené son armée sur les bords du Rhin, où elle ne manquait de rien : « M. de Mayence, dit-il, sera un habile homme s’il peut avoir des tables servies pour tant de convives, mais la nappe pourra lui coûter cher. » — « Et au même moment, ajoute Hyndford, il se tourna du côté de M. de Valori et lui dit cent impertinences sur le maréchal de Broglie, puis se retira dans une chambre