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accepté ni à Vienne ni à Madrid : ni la France n’avait plein pouvoir de Philippe pour traiter en son nom, ni le cabinet anglais n’était autorisé à se porter fort pour Marie-Thérèse. Chacun des augustes cliens murmurait, grondait, protestait contre toutes les concessions que son avocat voulait faire en son nom ; et des deux parts (coïncidence encore plus étrange), ces protestations avaient le caractère passionné et peu réfléchi de la colère féminine. La partie carrée était ainsi complète : à Madrid, c’était Élisabeth Farnèse, qui, à chaque lambeau qu’on lui demandait de céder des possessions qu’elle convoitait pour son fils bien-aimé, s’écriait qu’elle était trahie, abandonnée, sacrifiée par Louis XV, qui d’ailleurs, disait-elle, avait toujours détesté son oncle ; à Vienne, c’était Marie-Thérèse, plus obstinée que jamais à ne pas lâcher un pouce de plus de son patrimoine que le traité de Breslau ne lui en avait enlevé. L’irritation des deux parts, presque égale en violence, se ressentait pourtant de la différence de caractère des deux princesses. Chez Élisabeth, c’était un emportement dont l’expression était souvent vulgaire, parce que le mobile n’était que l’ambition de s’approprier le bien d’autrui et n’avait en soi rien de noble ni d’élevé ; chez Marie-Thérèse, c’était toujours la confiance hautaine du droit qui se défend. C’étaient des éclats d’éloquence, parfois mêlés de gémissemens, de larmes, en un mot, cette attitude de victime dont elle avait gardé l’habitude depuis ses premières épreuves et qui n’était plus justifiée depuis que la victoire lui avait fait changer de rôle. Telle était pourtant la ressemblance des situations qu’elle triomphait à certains momens de la diversité des natures et que souvent les mêmes argumens se retrouvaient sur les lèvres des deux reines « Si on m’abandonne, s’écriait Élisabeth, nous irons traiter avec l’Angleterre ; après tout, le roi d’Espagne est libre de traiter avec qui il veut. » — « J’aimerais mieux traiter avec la France, disait Marie-Thérèse à Robinson, qui la pressait trop vivement de consentir à la cession de Parme et de Plaisance ; — elle ne me demanderait rien et m’aiderait peut-être à recouvrer ce que j’ai perdu. » — À cette résistance prolongée et qui semblait inflexible l’Angleterre n’avait qu’un moyen à opposer, c’était de retarder ou de ralentir son action en Allemagne tant qu’elle n’aurait pas obtenu ce qu’elle demandait en Italie, et ce calcul, très visible dans toutes les dépêches anglaises de cette époque, explique mieux que toute autre cause la stagnation étrange des opérations militaires pendant toute une saison ;[1].

  1. Correspondance d’Espagne, 1743, passim. (Ministère des affaires étrangères.) — D’Arneth, t. II, p. 280, 288. — Correspondance de Vienne, juillet, août 1743, passim. (Record Office.) — Presque toutes les dépêches de cette date sont relatives aux affaires d’Italie et font connaître les efforts réitérés et longtemps impuissans des Anglais pour obtenir des concessions de Marie-Thérèse.