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C’était, en premier lieu, comme toujours, la différence des tempéramens et les rivalités d’intérêts des généraux. Pour commencer, le roi George, tout étonné de se trouver un héros (bonne fortune à laquelle il ne s’était jamais attendu), mais encore très ému des périls personnels qu’il avait courus, n’était nullement pressé de s’aventurer une seconde fois dans ce jeu où il avait vu serrer de si près sa lourde personne royale. Il repoussa presque sans le discuter le plan de marche immédiate et de vive agression que Stairs lui soumit dès le lendemain de Dettingue. Stairs, doit le caractère était très irritable et qui se savait d’ailleurs mal vu dans l’entourage du roi, ne put cacher son mécontentement. De vives altercations s’ensuivirent entre lui et les courtisans, qu’il accusait de lâcheté, et pendant plusieurs jours le camp anglais offrit, dit un témoin oculaire, l’aspect d’une république où personne n’obéissait et où chacun disait tout haut son sentiment. Enfin Stairs, dans un dernier mouvement de colère, offrit une démission que ses ennemis (Carteret était du nombre) furent très empressés d’accepter.

La timidité n’était pas d’ailleurs le seul défaut de George; il y joignait aussi l’avarice, défaut encore accru chez lui par la jalousie avec laquelle le parlement surveillait l’emploi des subsides accordés aux armées continentales. Quand les princes allemands qui venaient lui rendre hommage parlèrent des dégâts que leur avaient causés les réquisitions supportées par leurs sujets et murmurèrent quelques mots de dédommagement, le roi leur coupa la parole en leur disant que c’était le moins qu’ils pussent faire que de défrayer de tout leur libérateur, et qu’il verrait à les indemniser en raison de la conduite qu’ils tiendraient à son égard. Après cette déclaration, personne ne se soucia plus de faire un pas en avant[1].

Chose singulière, celui de tous qui le pressa le moins d’agir, ce fut le prince Charles, ou du moins son envoyé, le général Brown, qui était venu de sa part au quartier-général anglais pour arrêter le plan de la campagne d’été. Le prince sentait que, s’il liait trop étroitement sa partie avec l’armée anglaise, ce serait George qui, en vertu de sa qualité royale, devrait prendre le commandement suprême, et il n’avait nul goût à se mettre sous les ordres d’un chef dont les talens, pas plus que le courage, ne lui inspiraient la moindre confiance. Il fut servi à souhait par la démission de Stairs; mais alors, se trouvant isolé, il craignit d’avoir sur les bras les deux armées de Noailles et de Coigny réunies, et n’opéra qu’avec es précautions qui expliquent comment son action fut si peu efficace[2],

  1. Frédéric, Histoire de mon temps, chap. VIII.
  2. D’Arneth, t. II, p. 264, 267.