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mouvemens pour rentrer en France, le même jour, par deux points différens, porter sur notre territoire la plus redoutable des attaques.

Effectivement on put d’abord croire que nos ennemis sentaient leur force et ne tarderaient pas à en faire usage. Lord Stairs répétait tout haut aux envoyés des petits souverains d’Allemagne, qui venaient apporter leurs hommages au camp anglais, que son maître allait fondre sur la France comme un foudre de guerre. Tel était aussi le langage du Hongrois Mentzel, qui commandait l’avant-garde du prince Charles, composée presque exclusivement de Hongrois et de Pandours, dont l’aspect farouche terrifiait les populations. Ce chef de bandes, qui ressemblait plus à un brigand qu’à un soldat, vociférait dans des ordres du jour incendiaires que l’Alsace et la Lorraine étant les biens propres de sa maîtresse; quiconque, dans ces deux provinces, ne ferait pas de bonne grâce sa soumission serait livré au feu et au pillage. C’est pour répondre à cette double menace que Noailles, repassant le Rhin, vint se placer aux environs de Landau, le long de la Queiche, prêt à faire tête à l’armée anglaise si elle apparaissait sur la frontière du Nord, tandis que le maréchal de Coigny, placé sous ses ordres pour commander l’armée qu’avait ramenée le maréchal de Broglie et aidé du comte de Saxe, restait en armes entre Strasbourg et Colmar, surveillant tous les mouvemens du prince Charles.

A la surprise générale des spectateurs (sentiment que l’historien ne peut s’empêcher de partager), tout cet éclat, un moment si bruyant, s’apaisa subitement. Au lieu de marcher en vainqueurs sur la France, le roi George vint s’enfermer dans Worms, d’où il ne bougea de tout l’été; le prince Charles, à la vérité, fit son apparition attendue sur les bords supérieurs du Rhin et tenta à plusieurs reprises de franchir le fleuve, mais avec tant d’hésitation et tant de mollesse que le maréchal de Coigny, tout vieux et assez inerte qu’il était, n’eut besoin que de peu d’efforts pour l’en empêcher. La plus heureuse de ces tentatives ne réussit qu’à faire passer dans l’île de Rheinau, au-dessus de Colmar, de huit à dix mille hommes qui en furent débusqués peu de jours après, et on en était encore là aux premiers jours d’octobre, quand des pluies précoces fournirent au prince un prétexte pour reprendre avant le temps ordinaire ses quartiers d’hiver. Tout le résultat de la campagne se borna ainsi à la soumission des forts d’Égra et d’Ingolstadt, les deux seuls points que les Français occupassent encore en Allemagne et qui, bien que très faiblement défendus, ne se rendirent qu’à de bonnes conditions.

Cette inaction prolongée des Allemands prêta à des commentaires de toute espèce dont, dans le camp français, on ne se faisait