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l’amener à de nouveaux arrangemens plus conformes à ses vues. Se servir de la Russie contre l’Autriche, de l’Autriche contre la Russie, et rester entre les deux comme un régulateur souverain, c’est encore une conception diplomatique devant laquelle ne reculerait pas sans doute le tout-puissant chancelier. Faudrait-il voir enfin dans cette alliance plus ou moins laborieusement renouée ou remaniée quelque intention réservée, quelque dessein dont M. de Bismarck se promettrait de révéler bientôt le secret ? On dit que le chancelier de Berlin, toujours préoccupé de la paix, n’aurait songé à se faire le médiateur de tous les rapprochemens, de toutes les alliances, que pour arriver d’ici à peu à une proposition de désarmement. Il formerait ainsi une grande ligue de la paix à laquelle tout le monde serait invité à se rallier. Ce n’est pas la première fois qu’on parle d’un désarmement comme d’une garantie souveraine pour la paix universelle. La difficulté est toujours d’arriver à des combinaisons pratiques, de commencer, et M. de Bismarck, qui est un tout-puissant, un victorieux, a dans tous les cas à sa disposition un moyen décisif, c’est de donner l’exemple en commençant par diminuer l’armée allemande.

On ne voit pas que ces armemens démesurés et ruineux qui pèsent sur les nations contemporaines ne sont pas seulement une fantaisie, comme on le croit, qu’ils ne sont qu’un symptôme, qu’ils tiennent à un certain état violent du monde, et, tant que l’Europe sera dans cet état artificiellement violent, ce sera à qui refusera de désarmer le premier. M. de Bismarck a certes, un immense pouvoir ; il a déployé, dans sa diplomatie, des merveilles de sagacité et d’habileté ; il ne désire même que la paix, si l’on veut, il n’a dans ses conceptions d’autre objectif que la paix, nous l’admettons, — et à quoi cependant est-il arrivé ? Il a tout épuisé. Il a commencé par se faire une alliée de la Russie, il a imaginé ensuite ce qu’on a appelé l’alliance des trois empereurs ; puis il s’est détourné de la Russie pour aller chercher une alliée plus intime à Vienne. Aujourd’hui il revient à la Russie et à l’alliance des trois empires. Il multiplie les expédiens, et, avant que les événemens contre lesquels il cherche à se prémunir soient arrivés, il aura eu le temps de changer plus d’une fois encore. Il ne réussit qu’à offrir le spectacle de combinaisons éphémères parce qu’il manque quelque chose au monde européen, — et, s’il y avait dans notre pays un gouvernement aux intentions pacifiques, mais ayant assez d’autorité, assez de prévoyance pour suivre une politique, il montrerait bientôt quel pourrait être le rôle de la France. dans l’intérêt même de la paix, qu’on prétend consolider sans elle, peut-être contre elle. Un homme d’esprit, M. de Blowitz, qui a publié ; récemment un livre de voyage piquant et instructif, une Coursé à Constantinople, a voulu, lui aussi, tracer son plan de diplomatie ; il a