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On cherche souvent les causes des difficultés, des malaises qui se multiplient, et dont on ne peut avoir raison. Ces causes, elles sont dans une politique de parti qui remue tout sans prévoyance, sans mesure, et dans les hésitations d’un gouvernement qui craint de se montrer sensé et modéré ; elles ne peuvent disparaître ou être atténuées que le jour où l’on comprendra que l’avenir même des institutions qu’on veut défendre est au prix de l’ordre dans les finances, de la sagesse dans les lois, de la paix dans les consciences comme dans les intérêts, — d’une politique, en un mot, faite pour rendre quelque confiance à un pays trop longtemps et trop cruellement éprouvé.

C’est donc un fait accompli en Europe. L’histoire diplomatique compte un chapitre ou une péripétie de plus, qui, selon les circonstances, s’appellera, si l’on veut, la reconstitution de l’alliance des trois empereurs ou le rapprochement de l’Allemagne et de la Russie. Tout avait été préparé depuis quelques mois avec un certain mystère, du moins avec beaucoup de discrétion. Aujourd’hui, le rapprochement est fait, avéré et se dessine de toute façon. Il n’est plus attesté seulement par les visites de M. de Giers aux résidences princières où M. de Bismarck médite ses coups de théâtre, par le déplacement du prince Orlof envoyé en Allemagne pour représenter la politique nouvelle du cabinet de Saint-Pétersbourg. Tout dernièrement, une mission à la tête de laquelle était le grand-duc Michel, est allée avec quelque apparat à Berlin pour porter les complimens du tsar au vieil empereur Guillaume, et cette mission a été reçue avec un éclat officiel mêlé de cordialité. On a rappelé, par la même occasion, le temps déjà lointain où l’empereur Guillaume faisait ses premières armes sous les yeux de l’empereur Alexandre Ier et recevait une décoration russe. Le général Gourko, qui s’est distingué il y a quelques mois par des discours guerriers dont on s’est ému en Allemagne, est allé, lui aussi, à Berlin comme pour faire oublier son langage de Varsovie et renouer l’ancienne intimité militaire avec l’armée allemande. Ces jours passés enfin, à l’ouverture du parlement allemand, le message lu par le secrétaire d’état, M. de Bœtticher, au nom du vieux souverain, a déclaré que les relations de l’empire avec l’extérieur étaient de nature à dissiper les rumeurs alarmantes et les inquiétudes répandues pour faire douter du caractère pacifique de la politique allemande ; il a mentionné d’une façon toute particulière « la consolidation de l’amitié traditionnelle qui unit l’Allemagne, ses princes et les cours impériales voisines. » C’est donc un fait constaté, enregistré : la réconciliation de la Russie et de l’Allemagne est accomplie. Ce qui n’est point du tout éclairci encore, c’est le caractère de cette évolution diplomatique. La question est toujours de savoir ce qui a motivé le rapprochement, sous quelle forme précise il s’est réalisé, quelles conséquences il aura, comment il se combine avec l’alliance nouée depuis quelques années entre l’Allemagne et