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rend pas les évolutions faciles, met maintenant à défendre le droit des préfets autant de violence qu’il en mettait naguère à combattre leur intervention. Mais, direz-vous, c’est là pourtant une chose assez grave. Remettre aux préfets le soin de manier cet immense personnel scolaire, c’est rompre avec toutes les idées de prudence et de libéralisme, c’est reprendre tout simplement une tradition de l’empire, c’est introduire la politique avec ses partialités, avec ses représailles dans l’enseignement. — C’est précisément pour cela, au dire des nouveaux réformateurs, c’est parce que le préfet est l’agent direct du gouvernement, le représentant actif et militant de la politique, qu’il doit avoir ce droit, — bien entendu un peu en commun avec les députés de la majorité républicaine. C’est le préfet qui peut seul soutenir l’instituteur « contre le curé, » qui doit diriger la lutte de l’enseignement laïque contre les influences religieuses et savoir probablement aussi se servir de cet innombrable personnel aux jours d’élections. Des instituteurs bien payés, bien flattés, et des préfets de combat, « fonctionnaires vigoureux, énergiques, » pour faire marcher la France avec les instituteurs, voilà l’idéal !

Oui sûrement, nous avons fait du chemin. Autrefois, au temps des simples idées libérales, on songeait avant tout à diminuer le nombre des fonctionnaires, à restreindre autant que possible la prépotence de l’état. Aujourd’hui on donne à l’état une armée de cent mille fonctionnaires de plus ; si on eût écouté certains radicaux, on eût donné au gouvernement deux ou trois cent mille employés de chemins de fer chargés de répandre la bonne doctrine. Et ceux qui pensent, qui agissent ainsi, ne s’aperçoivent pas qu’avec cela ils préparent un formidable instrument de domination et de despotisme dont tous les partis peuvent se servir tour à tour, au détriment de la France, l’éternelle victime des réactions contraires et des idées fausses.

On veut mettre la politique de parti et de secte un peu partout aujourd’hui, et malheureusement il est trop clair que, si cette politique n’a que de désastreux effets dans l’enseignement public tel qu’on veut l’organiser, elle n’est pas plus heureuse dans les affaires de l’industrie et du travail. Elle compromet tout ce qu’elle touche en créant des difficultés là où il n’y en a pas et en aggravant les difficultés qui existent, qui sont inévitables. Elle est dans ces incohérens témoignages qui se succèdent devant cette commission d’enquêté des quarante-quatre, à laquelle des délégations ouvrières vont demander, comme remède à leurs maux, la révision de la constitution ou la mise en surveillance de la haute finance ; elle est dans cette grève qui attriste le bassin d’Ansin, qui se prolonge depuis quelque temps déjà et qui n’est qu’un épisode d’une crise plus vaste. Que ces problèmes du travail qu’on soulève souvent si légèrement, qui touchent à la puissance de l’industrie aussi bien qu’aux intérêts de la masse laborieuse,