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ces versatilités de parti, de ces abus de domination, c’est ce qui arrive à propos de cette loi des instituteurs, qui touche à tout, — aux finances par des accroissemens démesurés de dépenses, aux intérêts libéraux ou moraux par le choix des maîtres de l’enseignement primaire. Pour les finances, il est entendu qu’il n’y a plus à se gêner. Certes, de tout temps, on s’est assez vivement élevé contre les augmentations de traitemens, contre la progression des dépenses publiques, contre l’aggravation des charges des contribuables. Aujourd’hui il ne s’agit plus de cela, il n’y a plus à compter, et lorsque M. le ministre des finances, d’un ton pathétique, demande un peu de répit en montrant son budget en déficit, les recettes diminuant de mois en mois, le crédit affaibli, les réformateurs répondent lestement que cela ne les regarde pas, que l’état doit payer les frais de leurs hallucinations, de leurs expériences. On en est là : que le budget ait des ressources ou qu’il n’en ait pas, M. Paul Bert entend avoir sa dotation scolaire ; il la disputera avec son âpreté de sectaire jusqu’au bout, il ne s’arrêtera pas devant l’ajournement qui vient de lui être imposé. La question est aujourd’hui entre ceux qui demandent bien timidement à réfléchir avant d’aller plus loin et ceux qui veulent dépenser sans compter, qui prétendent que les millions sont dus aux instituteurs. C’est le côté financier ; mais ce qu’il y a de plus grave, de plus délicat dans cette loi nouvelle, c’est le mode de nomination, le choix de ces instituteurs qui vont former une armée de cent mille fonctionnaires de plus.

Comment les maîtres de l’enseignement primaire seront-ils nommés ? Au premier abord, avec un peu de bonne volonté et d’impartialité, il ne serait pas sans doute impossible d’arriver à une solution d’équité et de raison. Si l’on voulait tenir compte des diversités locales, des intérêts ou des convenances des communes, des sentimens des pères de famille à qui on impose une obligation, on pourrait donner aux conseils municipaux un certain droit d’intervention dans le choix de leurs instituteurs. Si on voulait ne considérer que l’intérêt scolaire ou universitaire, il y aurait une autorité naturelle de qui devraient relever les instituteurs primaires, ce serait le recteur. C’est l’opinion qui avait prévalu jusqu’ici, qui a été habilement soutenue dans la discussion récente. M. le président du conseil avait paru, à un certain moment, l’accepter. Le rapporteur de la loi, M. Paul Bert lui-même, se montrait, il y a un ou deux ans à peine, le champion résolu de l’autorité universitaire, l’adversaire intraitable de l’immixtion des préfets ; il le publiait, il le proclamait. Que s’est-il passé ? Tout s’est trouvé changé en peu de temps. Il n’est plus question bien entendu de consulter les conseils municipaux, qui ne ressemblent pas tous au conseil municipal de Paris, ni de s’en remettre à l’autorité naturelle du recteur. C’est le préfet seul qui doit avoir le droit de nomination et de révocation à merci sur tous les instituteurs, et M. Paul Bert, avec ce tempérament de sectaire qui ne lui