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femme ; chez MM. Dumas fils et Durantin après Héloïse Paranquet ; chez MM. Dumas fils et de Gorvin, après les danicheff. Tous dupes, si nous laissons à chacun le titre qu’il se donne : à Dieu ne plaise que nous lui infligions le titre qu’il reçoit de son compère ! nous sommes plus courtois ainsi, et peut-être plus juste. M. Dumas fils aujourd’hui sait mieux que jamais qu’on peut être dupe d’un plus petit que soi : a est-il besoin de démontrer qu’on peut être dupe d’un plus grand ?

Et pourtant ce n’est pas encore à cette sorte de collaboration, produite par l’infirmité spirituelle ou matérielle d’un débutant, par l’obligeance ou le goût d’accaparement d’un auteur en vogue, par la prudence ou la superstition d’un directeur, ce n’est pas encore à celle-là que j’en veux. Elle n’a pris, il est vrai, que trop d’importance ; elle encourage la paresse et la médiocrité de quelques-uns ; elle dévore le talent d’écrivains trop charitables ; ainsi M. Gondinet, pour avoir laissé les petits auteurs venir à lui, n’est plus guère que leur proie : n’a-t-on pas dit d’un de ses confrères, qui, dans un genre inférieur, fait par industrie ce qu’il fait par faiblesse d’âme et pratique ce métier de lécher les oursons d’autrui : « C’est le Gondinet du pauvre I » Un Vincent de Paul comme M. Gondinet, en lisant le jugement du 8 mars, peut s’aviser qu’en telle occasion, sinon dans toutes, après qu’il a fait d’un avorton un enfant présentable, celui qui naguère a remis l’avorton entre ses mains a le droit de renvoyer l’enfant dans les limbes. Il y a peut-être là de quoi rendre la pitié plus sage, en rompre le cours sinon en tarir la source, et ramener l’esprit à un meilleur emploi de son temps ; la charité, en ces matières, ne doit pas être une habitude. Cependant ce genre de collaboration n’est pas par lui-même haïssable ; son objet, en fin de compte, est littéraire ; les parties ne collaborent pas pour collaborer, mais pour mieux faire ; l’une veut tirer le meilleur parti de ce qu’elle a conçu, et l’autre, en effet, améliorer cette conception. Ce n’est pas aux dangers de cette sorte d’union ou d’alliance, sous la jurisprudence actuelle, que je désire voir s’appliquer la méditation des auteurs.

« Qu’est-ce qu’un vaudevilliste ? » demande un personnage dans une parade imaginée par MM. de Goncourt, et le compère de répondre : « C’est un homme qui collabore. » Il y a des gens dont la profession est de collaborer toujours sans travailler jamais : par leurs relations, par leur entregent, par la force de la coutume, ils exercent parmi les vaudevillistes une puissance tellement respectée qu’on a pu les prendre sans injustice pour les types de la confrérie. Les plus petits, ici, sont les plus forts : leurs droits d’auteur sont les meilleurs. Les plus grands sont toujours dupes, et le savent : pour pénétrer dans tel théâtre, ils subissent les conditions d’un syndicat. Parfois, ils essaient timidement de se défendre. Un tel, qui n’est pas le premier venu, avait fait