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caractère de généralité qu’on prêtait, soit à l’arrêt de la cour, soit au jugement du tribunal, et partant, se trouve à la fois moins conforme et moins contraire à l’absolue justice.

Que vaut-elle, cette jurisprudence ? Est-il bon, sinon juste, — puisqu’il faut renoncer au juste en ces affaires, les droits des deux parties étant contradictoires, — est-il bon qu’un auteur, une fois d’accord avec son camarade pour donner l’œuvre commune à un théâtre, ne puisse en aucun cas, l’interdire tout seul ? La chose paraît douteuse. Est-il bon qu’un auteur, lorsqu’il a, d’accord avec son camarade, retiré l’œuvre commune d’un théâtre, ne puisse en aucun cas, la faire jouer tout seul ? L’événement d’aujourd’hui et celui de demain répondent clairement que non. Aujourd’hui en effet, il n’est pas prouvé que M. de Corvin ait rapporté avec M. Dumas les Danicheff à l’Odéon : défense est faite à M. de La Rounat de représenter les Danicheff. Si demain il n’est pas prouvé que M. Dumas, de concert avec M. de Corvin, ait donné la pièce au Gymnase, M. Koning sera empêché de la jouer. Voilà, pour un temps indéfini, l’ouvrage réduit à néant : c’est le plus grand dommage possible pour les auteurs, et le plus grand aussi pour le public.

Il est facile d’imaginer la jurisprudence opposée : sera-t-elle meilleure ? Sera-t-il expédient qu’un auteur, après qu’il a, de compagnie avec son collaborateur, offert sa pièce à un théâtre et qu’elle a été acceptée, reste exposé au caprice le plus imprévu, le plus absurde, le plus malveillant de ce compère ? On n’oserait pas le soutenir. Y aura-t-il avantage à ce qu’un auteur, après avoir retiré sa pièce d’un théâtre avec l’assentiment de son collaborateur, puisse en autoriser tout seul la représentation dans des conditions dont il sera le seul juge ? Même au lendemain de ce jugement qui le blesse, M. Dumas ne défendrait pas cette thèse. Si M. de Corvin, l’année dernière, sous prétexte que les Danicheff n’étaient plus à l’Odéon, avait prétendu les faire représenter à Déjazet, M. Dumas sans doute se serait mis en travers ; il eût été bien aise de trouver le tribunal pour faire défense au directeur de passer outre.

De cette controverse que faut-il conclure, sinon qu’en pareille matière il ne devrait pas exister de loi ni même de jurisprudence ? Il existe des espèces, dont aucune n’est semblable à aucune autre. En tel cas, il serait bon de dire que la volonté d’un auteur suffit pour interdire la pièce ; en tel cas ensuite, qu’elle suffit pour la faire jouer, — et cela sans examiner si, d’un commun accord, les deux auteurs avaient porté la pièce dans un théâtre ou l’en avaient retirée. Ce n’est pas sur ce fait, où paraît s’arrêter maintenant toute l’attention des juges en quête d’un semblant de droit (et le moyen de leur demander autre chose ?), ce n’est pas sur ce fait, mais sur une infinité d’autres, plus délicats, plus fuyans, mais plus utiles, que se dirigerait l’examen. On rechercherait l’intérêt de chaque auteur : dans