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magistrats aiment leur indépendance pour être en état de gouverner des gens qui dépendent d’eux, et le peuple est disposé à se soumettre plus aisément à l’autorité d’un chef qu’à celle de magistrats qui, pour lui, sont, à proprement parler, des égaux. »

Ce chef ne pouvait être autre que le dernier héritier des princes d’Orange. Menacées d’être englouties par le flot de l’invasion, les Provinces-Unies lui demandèrent leur salut. Il suffisait que le pouvoir exercé par ses ancêtres lui fût rendu pour que les défenseurs du pays retrouvassent l’élan patriotique qui jusqu’alors leur avait fait défaut. Tandis que la confiance publique, prompte à renaître, faisait remonter les obligations de la province de Hollande de 30 florins à 90 florins, dans l’espoir de nouvelles alliances qu’une restauration princière pouvait assurer à la république, les correspondances secrètes adressées au roi de France l’informaient qu’il n’y avait plus que résolution témoignée de continuer la guerre. « Les bourgeois et les paysans, ajoutaient-ils, au lieu de continuer à se dérober au service, demandent d’eux-mêmes à marcher sous les ordres du prince ; ceux de Nord-Hollande fourniront jusqu’à trente mille hommes s’il le désire. En confondant sa destinée avec celle des fondateurs de son indépendance, la république semblait s’être interdit toute capitulation. Elle se sentait soutenue par les espérances que Guillaume III lui donnait ; elle lui en tenait compte comme de services rendus, et, dans les jours de grands dangers, ce sont les espérances qui font souvent le salut des peuples. C’était une nation tout entière qui avait confiance en lui, malgré sa jeunesse et son inexpérience militaire, sans se laisser décourager par l’infériorité des forces qu’il pouvait opposer à l’invasion, et cette confiance fut justifiée avec éclat.

A peine âgé de vingt-deux ans, n’ayant appris jusqu’alors la guerre et la politique que dans les livres, Guillaume III devait se révéler, dans sa lutte contre Louis XIV, comme l’un des grands généraux et l’un des premiers hommes d’état de son siècle. Soutenu à la fois par le patriotisme et par l’ambition, il allait opposer aux malheurs publics le plus intrépide courage en même temps que la plus inébranlable fermeté d’âme, et c’est en ne désespérant pas de son pays qu’à force d’opiniâtreté il s’en fit le libérateur. Cette œuvre de délivrance ne devait pas moins lui profiter qu’aux Provinces-Unies ; elle ne lui valut pas seulement une restauration qui, en rétablissant le stathoudérat, le rendait maître du gouvernement d’une république, elle lui prépara en outre le grand rôle qu’il fut appelé à jouer dans la politique européenne et qui, seize ans plus tard, lui permit de s’emparer par une révolution du trône de la Grande-Bretagne, en lui assurant ainsi la possession d’un royaume.


ANTONIN LEFEVBE-PONTALES.