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jusqu’alors les maîtres du conseil des régens. Sa défection devait donc porter au parti républicain un coup irréparable. Elle fut préparée par des soupçons perfidement accrédités contre les magistrats municipaux. Les députés envoyés aux états par le conseil de Dordrecht s’étant prononcés pour la paix, la bourgeoisie se laissa persuader que les conseillers négociaient déjà avec l’ennemi la capitulation de la ville. Elle leur fit demander s’ils étaient résolus à la défendre, dans le cas où elle serait attaquée. Ils répondirent qu’ils sacrifieraient leur fortune et leur vie pour résister à l’invasion.

Cette réponse ne suffit pas pour rendre confiance AUX habitans. La visite des magasins fut exigée pour constater les moyens de défense. L’absence du gardien, chez lequel on alla chercher les clés, donna un prétexte au cri de trahison, qui fut répété de toutes parts. Vainement les magasins furent-ils ensuite ouverts, de telle sorte qu’on pût s’assurer à l’aise qu’ils étaient suffisamment pourvus ; la foule s’était l’assemblée en manifestant les dispositions les plus hostiles, et les meneurs qui la dirigeaient donnèrent le signal de l’émeute en faisant arborer deux pavillons au haut de la tour : l’un, de couleur orange, flottait au-dessus de l’autre, qui était blanc, avec cette inscription : Orange op (dessus) ; Wit onder (dessous). Le nom patronymique de Jean de Witt signifiant blanc en hollandais, ce jeu de mots était destiné à servir de ralliement contre le grand-pensionnaire et son parti. Pour obéir aux injonctions populaires, le conseil des régens est obligé de se réunir. Un ouvrier arrête le bourgmestre Mailing, qui voulait s’échapper, et, la hache à la main, le menace de lui fendre la tête s’il oppose la moindre résistance aux volontés des habitans. N’osant pas rester fidèles à l’édit perpétuel qu’ils avaient juré de maintenir intact et craignant, s’ils consentaient à l’abroger, d’avoir à rendre compte aux états de la violation de leur serment, les régens se flattent de trouver un expédient : ils font annoncer à son de trompe le choix de députés envoyés vers le prince d’Orange, à son camp de Bodegrave, pour le conjurer de se rendre sans retard à Dordrecht. Toujours attentif à ne pas se compromettre, le prince, qui tenait à se garantir contre toute accusation de complicité avec la sédition, commence par refuser de répondre à leur appel en alléguant la nécessité de rester à son poste. Redoutant l’explosion de la colère populaire s’ils ne peuvent annoncer son arrivée, les députés le pressent de se mettre en route, et il cède à leurs prières, en paraissant se laisser vaincre.

Le lendemain matin, il fait son entrée solennelle en compagnie des membres de la députation, auxquels s’était joint le beau-frère de Jean et Corneille de Witt, Jacob de Beveren, seigneur de Zwyndrecht, commissaire des états de Hollande. Les habitans