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préoccupé de ne donner aucun éveil, il avait achevé la nuit avec ses complices dans la maison du libraire van Dyck, où les assassins s’étaient retirés pour faire panser la blessure reçue par l’un des conjurés, de Bruyn. Le lendemain matin, empruntant à son hôte un manteau pour n’être pas reconnu, il crut pouvoir rentrer sans danger dans la maison paternelle, mais il la trouva gardée. Un médecin qui passait sur la promenade au moment où Graef retournait sur ses pas pour s’assurer si de Witt était tué avait entendu prononcer à voix basse ces paroles : « Graef ! Graef ! où êtes-vous ? Venez vite. » Dès qu’il eut connaissance de l’attentat, il se rendit chez le grand-pensionnaire, auquel il signala cet indice de crime, et les ordres furent aussitôt donnés pour que les abords de la maison du conseiller fussent soigneusement surveillés. Quand Jacob van der Graef s’y présenta, croyant en trouver l’accès libre, il ne comprit pas les signes d’intelligence qui lui étaient faits par quelques-uns des bourgeois mis en faction, qui désiraient le faire échapper. Les taches de sang qu’il portait sur lui, et dont il ne se doutait pas, suffisaient pour le dénoncer. Après de vaines explications, il fut conduit à la conciergerie de la cour et ensuite à la prison, et confirma les soupçons de son crime en conjurant les bourgeois qui l’escortaient de le laisser s’enfuir. Au troisième interrogatoire, il fut obligé de s’avouer coupable et donna le nom de ses complices.

Il avait été déconcerté quand on lui avait représenté son épée tombée de son fourreau et ramassée à la place où l’attentat venait d’être commis. Il déclara « qu’il ne pouvait se rendre compte d’aucune raison qui l’eût porté à commettre cette tentative d’assassinat, sinon qu’il était abandonné de Dieu, » et il en témoigna tout son repentir. « Lorsque j’eus résolu d’assassiner le grand-pensionnaire de Witt, avoua-t-il, je demandai à Dieu de vouloir bien faire réussir mon entreprise si le grand-pensionnaire était un traître, mais de me faire perdre la vie s’il était un honnête homme. « Il n’avait d’autre excuse que celle du fanatisme, et il fut condamné à mort. Sa jeunesse (il était encore étudiant à l’université de Leyde), la considération dont jouissait sa famille, la fuite de ses complices, qui avaient pu s’évader de La Haye, intéressaient à son sort, malgré l’indignation qu’inspirait ce lâche guet-apens.

D’après des récits plus ou moins contestables, qui ne sont confirmés par aucun témoignage, Jean de Witt aurait été pressé par des amis de solliciter des états la grâce du coupable afin de regagner par sa clémence la faveur populaire qu’il avait perdue. Le grand-pensionnaire, ne se départant pas de son austère rigidité, se serait refusé à faire cette démarche, en disant que, s’il pardonnait de bon cœur à son assassin, il n’en était pas moins obligé de