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Le calcul eût été juste si son adversaire eût fait la faute de venir l’y attaquer ; mais Noailles, (évitant toujours de prendre aucune initiative, se borna à couper à l’armée anglaise toutes les subsistances qui pouvaient lui venir du cours supérieur du Mein et de la Franconie. Au bout de quelques jours, lord Stairs s’aperçut que, s’il était difficile de le chasser de son enclos, il était également malaisé pour lui d’y vivre avec les convois insuffisans et mal organisés qui lui arrivaient péniblement des bords du Rhin par le couloir étroit qu’il avait traversé lui-même. Se trouvant dans la gêne, il songea à se dégager en faisant un mouvement rétrograde du côté de la ville de Hanau. C’était le moment qu’attendait Noailles. Bien que manœuvrant toujours sur la rive gauche du Mein, il s’était rapproché assez de cette rivière pour avoir pu jeter en amont d’Aschaffenbourg et en aval de Dettingue des ponts qui lui permettaient de passer à volonté sur la droite. De plus, il avait rangé sur la rive gauche elle-même des batteries dont la portée dépassait beaucoup la largeur du cours d’eau et pouvait atteindre aisément l’armée qui manœuvrait sur l’autre rive. Il plaça à la tête des ponts qui débouchaient du côté de Dettingue son neveu, le duc de Gramont, avec trois brigades d’infanterie, les gardes-françaises et la maison du roi. Lui-même, avec le reste de l’armée, demeura en arrière d’Aschaffenbourg ; son plan était de s’emparer de cette localité aussitôt que les Anglais l’auraient quittée pour commencer leur marche rétrograde et de se mettre à leur suite en les pressant sur leurs derrières. En même temps, les batteries postées au-delà du Mein, commençant leur feu, devaient les prendre en flanc. Enfin, en arrivant en face de Dettingue, ils auraient trouvé le duc de Gramont et son monde qui, traversant le Mein, leur auraient présenté un front menaçant. Pris ainsi de trois côtés, en arrière, en avant et sur leur gauche, il ne serait resté aux Anglo-Autrichiens d’autres ressources que de capituler, l’étroit passage qui restait ouvert sur la droite ne leur permettant pas de se retirer assez vite pour éviter une poursuite victorieuse. « Ce plan, dit Frédéric, était digne d’un grand capitaine. » Louis XV, moins bon juge, en pensait de même quand le comte de Noailles, envoyé en courrier par son cousin le maréchal, vint le soumettre à son approbation. « Je pense, écrivait-il, que vous préviendrez les ennemis aux défilés ou que vous ne les y laisserez pas passer impunément, désirant autant que le comte de Noailles que vous puissiez frotter d’importance ces messieurs Anglo-Autrichiens ; vous voyez que je me conforme aux mots nouveaux quand ils me paraissent bons[1]. »

Tout sembla d’abord marcher à souhait : dans la nuit du 26 au

  1. Le roi au maréchal de Noailles, 22 juin 1743. — Rousset, t. I, p. 109.