a peu d’années, le sujet de sculpture était Orphée après la mort d’Eurydice, parcourant les montagnes à travers les rochers et chantant son amour à jamais évanoui. Il s’agissait de représenter, selon Virgile, un amoureux délire, l’égarement du désespoir, l’innocente démence d’un amant et d’un poète qui va droit devant lui sans savoir où il met le pied. Le sujet fut très finement saisi par le jeune artiste qui eut le prix. Il fallait vraiment n’avoir pas lu le programme pour représenter, comme ont fait d’autres concurrens, Orphée assis ou bien chantant immobile avec le calme d’un acteur correct qui se fait entendre dans un concert. Nous nous rappelons aussi qu’en peinture on proposa pour sujet la mort de Démosthène et que plus d’un concurrent peignit le grand orateur, non pas mourant, mais mort, ce qui était détruire l’intérêt du tableau et en esquiver les difficultés. Du reste, nous avons remarqué chaque année que le jury, comme s’il donnait raison à la théorie que nous soutenons, décerne le prix à celui qui reste le plus fidèle au programme. Il est probable que ce n’est pas la docilité qu’on récompense, mais encore et surtout les mérites techniques que cette docilité, c’est-à-dire la nette intelligence du sujet, entraine avec elle, car il est indubitable qu’un sujet bien compris et bien défini est pour l’artiste un soutien. S’il n’est pas nettement conçu, toute l’exécution sera incertaine. Le sentiment du personnage ordonne tout le reste. Il ne se reflète pas seulement dans l’expression du visage, il se répand dans tout l’être ; il entraîne des mouvemens certains, il ondule en lignes qui ne sont qu’à lui jusqu’au bout des pieds. Il n’y a qu’une pensée précise qui puisse conduire à un juste dessin. On est amené quelquefois à faire de pareilles réflexions, même à l’exposition triennale, où ne paraissent pourtant que des œuvres de choix. Nous venons d’y voir un groupe de statuaire intitulé : l’Amour et la Folie, sujet tiré d’une fable de La Fontaine, œuvre gracieuse à première vue, de la plus jolie exécution, où un rare talent laisse voir dans les moindres détails tous les soins qu’il a pris, sauf le soin de lire La Fontaine, ce qui pourtant n’eût pas été long. Le fabuliste raconte que l’Amour et la Folie, évidemment dans leur enfance, jouant ensemble et se disputant, la Folie eut le malheur de donner à l’Amour un coup si furieux qu’il en perdit la clarté des cieux. Les dieux pris pour juges condamnèrent la coupable à servir désormais de guide au petit aveugle. L’artiste, pour avoir peu lu la fable, représente l’Amour en enfant, ce qu’il doit être, en effet, mais la Folie en grande personne qui pourrait bien avoir vingt ans. Comment cette grande fille a-t-elle pu être assez brutale pour aveugler dans une dispute son petit ami ? Et, au moment où elle conduit cette pauvre victime, comment peut-elle rire si gaîment, d’un air tout triomphant, et trouver si spirituel ce qu’elle a
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