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XVIIIe siècle ; mais elles ne perdront pas leur à-propos, comme l’a si justement écrit M. Baudrillart[1], « tant que la séduction de la richesse facile n’aura pas cessé d’agir sur l’imagination hallucinée de la foule. »

Le développement prodigieux qu’avait pris, depuis six mois, la compagnie des Indes, le cours élevé de ses actions, l’agiotage de la rue Quincampoix, tout se réunissait pour donner un intérêt particulier à l’assemblée générale de la fin de l’année. Elle fut convoquée pour le 30 décembre ; le régent vint la présider, accompagné du duc de Bourbon, du prince de Conti, etc., et Law n’eut pas de peine à obtenir des actionnaires la ratification de tous les actes qui avaient porté les actions du cours de 1,000 livres, qu’elles atteignaient à peine à la fin de juin, à ceux de 10,000 livres, 15,000 livres, 18,000 livres. Mais, à cette époque, les directeurs de la compagnie avaient annoncé que le dividende des actions, en 1720, serait de 60 livres pour 300,000 actions, et ce chiffre ne répondait plus à la situation nouvelle ; l’assemblée s’empressa, sur la proposition nouvelle des directeurs, de fixer la répartition qui serait faite en 1720 à 200 livres par action (40 pour 100 du pair de 500 livres), ce qui, pour 600,000 actions, exigeait une somme annuelle de 120 millions. C’était là une promesse qui ne pouvait être tenue. Quelques efforts qu’il eût faits pour évaluer à un chiffre élevé les revenus et les bénéfices de la compagnie, Law ne pouvait les porter, dans ses prévisions, qu’à 91 millions, et cette évaluation était encore exagérée ; Du Tôt, l’un de ses disciples les plus sincères et les plus convaincus, la réduit à 80 millions. Quelques ventes faites par ceux qui commençaient à réaliser, avaient rapproché les cours de 10,000 livres, et 80 millions répartis entre 600,000 actions, c’est-à-dire 133 livres par action, ne donnaient, à ce prix, qu’un intérêt de 1.33 pour 100 ; en supposant même que le dividende promis de 200 livres eût pu être distribué, ce n’était encore que 2 pour 100 du prix de 10,000 livres. Cependant lorsque les délibérations de l’assemblée furent connues rue Quincampoix, elle ne provoquèrent pas la baisse ; le soir même de la réunion, les actions montèrent à 15,000 livres : à ce prix, le dividende peu probable, quoique annoncé, de 200 livres n’assurait qu’un intérêt de 1.33 pour 100.

Mais quand les titres d’une société financière, industrielle ou commerciale, sont l’objet d’une hausse semblable, ce n’est pas à raison du dividende qu’elle pourra donner, c’est à raison du bénéfice qu’on espère trouver dans une hausse nouvelle. On a vu des actions de 500 livres monter à 1,000, à 2,000, à 5,000, à 10,000, à

  1. Histoire du luxe, t. IV, p. 250.