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de highlanders écossais se mit en révolte, au moment de partir, et retourna dans ses montagnes au son de la cornemuse, en disant tout haut qu’on les avait fait venir pour défendre la patrie, mais non pour aller au-delà de l’océan chercher querelle à des gens qu’ils ne connaissaient pas. Le ministre Carteret, d’ailleurs, mettait lui-même très peu d’empressement à hâter le départ, espérant toujours que quelque incident diplomatique le dispenserait de cette mesure périlleuse, laissant même parfois entendre, en confidence, qu’il ne songeait qu’à satisfaire le parlement par une démonstration apparente. Puis, une fois débarqué sur le continent, la jonction du corps anglais avec les Flamands amenés par le duc d’Aremberg, les Hessois auxiliaires et les Hanovriens fut lente et difficile, le tempérament emporté de lord Stairs s’accordant mal avec le caractère plus calme du général autrichien. Enfin quand le roi George lui-même vint au camp accompagné de son ministre, plus d’un débat s’éleva entre le général qui voulait marcher en avant, à tout hasard et à tout rompre, et le ministre qui se flattait encore qu’on pourrait ajourner une rencontre sanglante, ou que le maréchal de Noailles viendrait offrir la bataille à l’entrée même du territoire allemand et dispenserait les troupes anglaises de s’y enfoncer trop avant[1].

L’une et l’autre espérance furent trompées : Noailles, avait bien eu la pensée un instant de se porter sur le cours inférieur du Rhin, en s’emparant (suivant le conseil peut-être perfide donné par Frédéric à Valori) des petites souverainetés ecclésiastiques et de la ville impériale de Francfort ; mais il recula sagement devant la pensée du soulèvement que pouvait susciter en Allemagne la violation de ces territoires indépendans. Il vint se poster sur la frontière du Haut-Palatinat entre le Mein et le Neckar, s’étendant sur la rive droite d’une de ces rivières et la rive gauche de l’autre, barrant ainsi la communication avec la Bavière. Il eut même quelque mérite à garder cette attitude prudente, qui suivant l’opinion défavorable alors répandue en Allemagne au sujet des armées françaises, lui était imputée à timidité et lui attirait des reproches assez amers de la part des spectateurs les plus bienveillans ; mais, comme il ne bougeait pas de cette ligne défensive, il fallut bien que l’armée anglaise vînt l’y chercher. Lord Stairs le fit avec autant de maladresse que d’imprudence ; il s’avança au-delà de Francfort, sur la droite du Mein, et vint camper entre les petites villes de Dettingue et d’Aschaffenbourg, dans une plaine étroite où il n’avait pu parvenir qu’en traversant des gorges assez resserrées. C’était une sorte de camp retranché dont il croyait avec raison qu’il serait impossible de le débusquer par la force.

  1. Bussy à Amelot, 31 mai 1743. (Correspondance d’Angleterre. Ministère des affaires étrangères.)