Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/385

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cloche. « Les personnes distinguées de l’un et l’autre sexe entraient par la rue aux Ours, et le vulgaire par la rue Aubry-le-Boucher[1]. » — Toutes les maisons, tous les appartemens furent convertis en bureaux, loués aux agioteurs à raison de 200, 300 ou 400 livres par mois, suivant leur étendue : une maison dont le loyer ordinaire était de 600 à 800 livres par an pouvait contenir trente ou quarante bureaux et rapporter de 10,000 à 12,000 livres par mois. On raconte[2] qu’un savetier dont l’échoppe, formée de quelques planches, était adossée au mur du jardin du banquier Tourton, la transforma en bureau et gagna 200 livres par jour en la mettant à la disposition des spéculateurs, en leur fournissant des plumes et du papier, en offrant des escabeaux aux dames qui venaient contempler ce spectacle inouï.

Mais la compagnie qui provoquait, par ses opérations, ces spéculations excessives, voulait aussi paraître inspirée par des sentimens de bien public et d’intérêt général. Elle recevait de l’état une annuité de 4 millions pour l’intérêt des 100 millions, en billets de l’état, qui avaient fait son fonds social. Elle représenta que, tous les sujets du roi ne devant plus recevoir que 3 pour 100, son annuité devait être réduite à 3 millions ; et, comme l’état y gagnait 1 million, elle demanda et elle obtint facilement (arrêt du 19 septembre) que les contribuables fussent soulagés par la suppression des droits sur les huiles, le suif et les cartes, consentant elle-même à la suppression des 24 deniers pour livre sur le poisson qui faisaient partie des fermes générales. Ce désintéressement fut généralement approuvé, et il contribua à la hausse des actions. Ge fut aussi dans un intérêt public, celui du trésor, que la compagnie, devant se procurer par l’émission des 300,000 actions un capital de 1,500 millions, crut devoir offrir de porter à cette somme son prêt de 1,200 millions. Ce supplément de 300 millions, qui fut accepté[3], devait permettre un remboursement plus complet de la dette publique. Il est vrai que, le même jour, la compagnie, poursuivant son projet de réunir dans ses caisses tous les revenus de l’état, obtenait la suppression des receveurs généraux, qu’elle remplacerait[4], « parce qu’il importe au bien de tous que le recouvrement des deniers publics se trouve dans les mêmes mains pour en faciliter la perception. »

Le versement du second dixième des actions allait être exigible, et un grand nombre de souscripteurs, ayant pris des engagemens fort au-dessus de leurs ressources, se voyaient à la veille d’être

  1. Lemontey, Histoire de la régence, p. 311.
  2. Du Hautchamp, Histoire du système, t. IV, p. 193.
  3. Arrêt du 12 octobre 1719.
  4. Ibid.