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septembre). Mais l’émission des actions, et les négociations auxquelles elle allait donner lieu, ne pouvaient s’opérer sans une quantité considérable de numéraire ou de billets : la banque fut autorisée le 12 septembre à en fabriquer pour 120 millions, et le 24 octobre pour une somme égale. Tandis que, jusque-là, les billets avaient été faits en coupures de 1,000 livres, de 100 livres et de 10 livres, ceux-ci furent tous émis en coupures de 10,000 livres, ce qui indique la nature, le chiffre, l’importance des transactions auxquelles ils devaient servir.

Depuis longtemps les effets royaux, dont le discrédit faisait sans cesse varier les cours, donnaient lieu à un trafic dont le siège s’était établi dans la rue Quincampoix, alors habitée par des banquiers, des gens d’affaires, et même des prêteurs à la petite semaine, qui tous prirent une part active au commerce des actions : des mères, des filles, des petites-filles et des 300,000 nouvelles. A partir du jour de l’ouverture de la souscription, la foule s’y porta : les actions achetées et vendues au comptant, à termes à prime, y atteignirent rapidement le prix de 10,000 livres et montèrent, à la fin de novembre, à 15,000 et 18,000 livres, sans conserver toujours ce cours[1]. A la fin d’octobre, l’affluence devint si prodigieuse rue Quincampoix, qu’afin de prévenir les rixes et les désordres il fallut y établir « une garde de douze hommes, commandés par trois officiers, pour y rester tout le jour, et au besoin la nuit, veiller à la liberté et à la sûreté des négocians, arrêter les filous, les vagabonds et rendre compte du tout. » (Arrêt du 26 octobre.) — Les deux extrémités de la rue furent garnies d’un corps de garde et d’une grille dont l’ouverture, à six heures du matin, et la fermeture, à sept heures du soir, étaient annoncées par le son d’une

  1. On lit dans Forbonnais, t. II, p. 599 et 601 : « La rue Quincampoix, où demeuraient les principaux banquiers, se remplit d’une foule extraordinaire, et la seule variation du cours des actions dans l’espace d’une journée, qu’occasionnoit la diversité des spéculations, étoit capable de procurer des gains considérables à ceux qui connaissoient les manèges de la place… Le mouvement fut extraordinaire pour se procurer les effets propres à être convertis en récépissés de remboursement. On donnoit 11,000 livres en or pour 10,000 livres en papier de l’état, et on payoit des courtages assez considérables pour procurer de petites fortunes à ceux qui avoient le secret de faire expédier promptement cette conversion. Les esprits étoient dans une telle fermentation qu’on ne raisonnoit plus. On alla jusqu’à imaginer que les nouvelles actions valoient mieux que les anciennes, sans doute parce qu’elles employoient le remboursement de dettes privilégiées. Un assez grand nombre de gens s’empressèrent de les vendre afin d’en acheter de nouvelles, pour que la valeur des anciennes baissât de 8,000 à 4,000, ce qui procura aux personnes un peu plus au fait des négociations le moyen de faire de grandes fortunes en peu de temps, car il falloit que toutes les actions tombassent ou que celles-là revinssent au niveau des autres, toutes étant de même espèce, et le remboursement changeant la nature du privilège des dettes du roi. »