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alors il fallut bien répondre. Je lui dis que je ne cachois point mon ignorance ni mon dégoût de toute affaire de finance, que néanmoins ce qu’il venoit de m’expliquer me paroissoit bon en soi, en ce que sans levée, sans frais, et sans faire tort ni embarras a personne, l’argent se doubloit tout d’un coup par les billets de cette banque et devenoit portatif avec la plus grande facilité, mais qu’à cet avantage je trouvois deux inconvéniens : le premier de gouverner la banque avec assez de prévoyance et de sagesse pour ne pas faire plus de billets qu’il ne falloit, afin d’être toujours au-dessus de ses forces et de pouvoir faire hardiment face à tout, et payer tous ceux qui viendroient demander l’argent des billets dont ils seroient porteurs ; l’autre que ce qui étoit excellent dans une république ou dans une monarchie où la finance est entièrement populaire, comme est l’Angleterre, étoit d’un pernicieux usage dans une monarchie absolue, telle que la France, où la nécessité d’une guerre mal entreprise et mal soutenue, l’avidité d’un premier ministre, d’un favori, d’une maîtresse, le luxe, les folles dépenses, la prodigalité d’un roi ont bientôt épuisé une banque et ruiné tous les porteurs de billets, c’est-à-dire culbuté le royaume… Lorsque, quelques jours après, il proposa la banque au conseil, j’opinai tout au long, comme je viens de l’expliquer ; .. peu osèrent être de cet avis, et la banque passa. »

Law et sa compagnie sont donc autorisés[1] à établir, pour vingt ans, une banque générale, qui tiendra ses livres et stipulera en écus de banque « du titre et poids de ce jour. » Le fonds social sera de 1,200 actions de 1,000 écus (1,200,000 écus valant 6 millions). Les actions seront payées trois quarts en billets de l’état et un quart en numéraire. La banque émettra des billets payables au porteur, à vue et non à terme, et stipulés en écus de banque. Elle recevra le numéraire versé dans ses caisses en échange de ses billets, et elle escompterai les effets de commerce. Elle ne pourra emprunter à intérêt, ni faire aucun i commerce particulier : mais elle pourra se charger de la caisse des particuliers, tant en recette qu’en dépense, et elle fera à leur choix les paiemens, comptant ou en viremens de parties, pour 6 sols de banque pour 1,000 écus.

La banque ainsi organisée était une banque de dépôt et d’escompte[2], dont le plan était sage et bien conçu. Après tant de variations monétaires, la disposition qui exigeait que dans les livres, les contrats, les billets de la banque, les sommes fussent exprimées en écus de banque, d’un titre et d’un poids invariables, assurait à son papier une fixité qui devait lui faire prendre faveur ; mais Law

  1. Lettres patentes des 2 et 20 mai 1716.
  2. Les banques de Stockholm, de Gênes, de Venise et d’Amsterdam étaient des banques de dépôt. Celle de Londres, établie en 1694, était seule banque de dépôt, d’escompte et même de prêt à l’état.