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le numéraire, en facilitant les échanges, favorise l’accroissement du travail, de la culture, de la population, il n’en est pas le principe. Ces trois choses peuvent exister sans lui, et il peut être abondant sans les produire. 3o  Que le papier est plus propre que les métaux à faire des espèces. — Le papier peut être un signe, mais non point un gage des valeurs ; il ne peut jamais être un bon numéraire, précisément à cause de cette facilité qui séduit, de le multiplier sans travail et sans frais. »

Au commencement de 1708, Law était venu en France offrir au contrôleur-général, alors fort embarrassé, le secours de son activité et de ses combinaisons ; mais il n’avait pu les faire accepter par Desmarets, qui venait de remplacer Chamillart : à cette époque, il s’était lié avec le duc d’Orléans, qui avait paru disposé à adopter ses idées. Aussi, dès qu’il apprit la mort de Louis XIV, il s’empressa de revenir et d’adresser au régent des mémoires et des lettres : il le vit et il le séduisit par son brillant esprit.

Le 24 octobre 1715, avant même d’avoir pourvu aux nécessités les plus urgentes, de la situation financière, le prince réunit au conseil des finances quelques personnes qui n’en faisaient pas partie, ainsi que treize banquiers et négocians dont il voulait avoir l’avis. Le plan d’une banque dont les fonds seraient fournis par l’état et qui serait placée sous l’autorité du gouvernement, fut exposé, et, après une délibération dans laquelle chacun exprima son opinion, il fut repoussé, à une très grande majorité, a comme inopportun. » Le régent leva aussitôt la séance en disant « qu’il était entré persuadé que la banque devoit avoir lieu, mais qu’après ce qu’il venoit d’entendre, il étoit de l’avis du duc de Noailles et qu’il falloit annoncer à tout le monde que la banque n’auroit pas lieu[1]. » — Le projet ne fut cependant pas abandonné. Renonçant, au moins momentanément, à l’établissement d’une banque publique, Law lui substitua la proposition de fonder, à ses risques et périls, une banque privée, et le régent se chargea d’entretenir les membres du conseil de régence et du conseil des finances de l’utilité de cette société particulière de crédit, qui pouvait, en effet, rendre au commerce les plus réels services ; elle avait aussi ses dangers, que Saint-Simon entrevit et signala avec une perspicacité qui montre une fois de plus que l’emportement et la passion n’excluaient dans son esprit ni la sagacité, ni la pénétration. Il rapporte, dans ses Mémoires, « que le dut d’Orléans prit la peine d’instruire en particulier chaque membre du conseil de régence et de lui faire doucement entendre qu’il désiroit que la banque ne trouvât pas d’opposition. Il m’en parla à fond :

  1. Le curieux procès-verbal de cette séance a été textuellement rapporté par M. Levasseur dans ses savantes et intéressantes Recherches sur le système de Law.