Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je partirai avec l’armée pour joindre le maréchal de Noailles. » Il faisait part en même temps de sa résolution à l’empereur et au maréchal de Noailles[1].

Les trois jours marqués comme délai d’attente furent employés par le maréchal à faire tous les préparatifs de sa marche vers le Rhin, opération dans laquelle il était puissamment secondé par le zèle, l’entrain, presque le ravissement de son armée, qui brûlait d’arriver à temps pour prendre part à de nouveaux combats. Le 26, à la dernière heure, au moment où le signal du départ allait être donné, arriva une nouvelle dépêche de Paris, apportée par un courrier, qui était parti le 22. Celle-là était, s’il est possible, encore plus incohérente et plus étrange que la première ; car elle maintenait toujours, d’une part, l’injonction de tenir bon à Ingolstadt si on le pouvait, et, de l’autre l’autorisation de rentrer en France si le séjour de la Bavière devenait impraticable. On prévoyait même qu’il faudrait finir par là, seulement le plus tard possible. La seule chose qui était interdite au maréchal de Broglie, c’était celle qui lui tenait au cœur, à savoir la tentative d’aller joindre le maréchal de Noailles pour se battre avec lui contre les Anglais.

Il faut citer quelques lignes du texte pour comprendre ce que Broglie dut ressentir à cette lecture. « Sa Majesté, lui disait-on, n’exige pas de vous l’impossible… Dans le cas où tout autre parti que celui de la retraite vous paraîtrait impraticable, Sa Majesté se repose sur vous de la route que vous croirez devoir prendre pour votre retour sur le Rhin. Sa Majesté ne croit pourtant pas devoir adopter l’idée que vous aviez d’aller joindre le maréchal de Noailles pour combattre ensemble les alliés de la reine de Hongrie sur le Mein ; il est persuadé que ce maréchal (ici quelques mots dont le déchiffrement est illisible) n’a besoin quant à présent d’aucun secours pour entreprendre sur eux (les Anglais), quand il en trouvera l’occasion, comme il n’y manquera pas. » Ainsi on lui permettait tout, même la fuite, mais on lui interdisait le seul moyen d’enlever à sa retraite le caractère d’une honteuse déroute ; on l’autorisait à ramener en France des convois de blessés et de fugitifs, mais non une armée marchant au combat. C’était évidemment le ministre de l’empereur, qui, revenant à la charge, avait arraché du cabinet ce dernier acte de timidité et d’indécision et imprimé cette dernière oscillation à la balance[2].

Nul doute, cependant, qu’il fallait obéir. La loi du devoir militaire est absolue : l’histoire, pas plus qu’aucun autre tribunal, n’a

  1. Le maréchal de Broglie au comte d’Argenson, 23 juin 1743. (Ministère de la guerre.)
  2. Le comte d’Argenson au maréchal de Broglie, 23 juin 1743. (Ministère des affaires étrangères. Correspondance de Bavière.)