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sont suspectes. Jusqu’à la fin il s’en est trouvé un certain nombre que la nouvelle doctrine, partout victorieuse, n’a pas pu vaincre. Comme ils ne sont pas agressifs, ils ne lui résistent pas ouvertement, ils se contentent de ne pas s’occuper d’elle ; ils ne l’attaquent pas, ils l’ignorent, ils feignent de croire qu’il ne s’est rien passé autour d’eux et que le monde continue son ancien train. Quand ils sont appelés à parler devant l’empereur dans quelque circonstance officielle, ils ne se demandent pas à quelle religion il appartient ; ils invoquent sans façon les anciens dieux et continuent à tirer leurs plus beaux effets de la vieille mythologie. Ce qui est merveilleux, c’est qu’on les laisse dire et qu’un prince dévot comme Théodose, qui poursuit partout impitoyablement le paganisme, n’ose pas le proscrire de l’école.

Nous touchons, ici à l’un des points les plus curieux et les plus surprenans de l’étude que nous avons entreprise : je veux parler de la confiance absolue, et, pour ainsi dire, du respect superstitieux qu’inspirait alors cette éducation à laquelle nous trouvons tant à reprendre. Dans les premiers temps, beaucoup de bons esprits avaient été frappas des dangers qu’elle présente. « C’est une école d’impudence », disait Crassus, quand il entendait les applaudissemens dont les élèves saluaient les déclamations de leurs camarades. « C’est une école de sottise », ajoutait Pétrone ; et Tacite n’était pas beaucoup plus indulgent, dans son Dialogue des orateurs. Mais peu à peu ces protestations cessent, et à partir du IIe siècle personne n’attaque plus cette façon d’élever la jeunesse. À ce moment, la rhétorique triomphe aussi bien chez les Grecs que dans les pays de l’Occident ; ces deux mondes, qui vont se séparant de plus en plus l’un de l’autre, se réunissent encore dans l’admiration qu’ils ont pour elle. Voudra-t-on me croire si je dis que c’est la rhétorique qui a rendu à la Grèce le sentiment d’elle-même et de sa supériorité sur les autres peuples ? Il n’y a pourtant rien de plus vrai. Ce sentiment, elle l’avait à peu près perdu après sa défaite. Elle se chercha pendant près d’un siècle et ne sut que flatter bassement ses maîtres. C’est seulement avec l’empire qu’elle se réveille ; et lorsque, sous Nerva, commence la seconde sophistique, il s’opère chez elle une sorte de renaissance. Nous avons peine à nous figurer l’enthousiasme qui accueillait les grands sophistes grecs lorsqu’ils sortaient de leurs écoles, dans quelque solennité publique, pour se faire entendre au peuple. Une foule composée de toutes les nations se pressait dans les lieux où ils devaient parler, et les étrangers eux-mêmes, qui ne pouvaient pas les comprendre, « les écoutaient avec ravissement, comme des rossignols mélodieux, admirant la rapidité de leur parole et l’harmonie de leurs belles phrases ». C’étaient des