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le grammairien s’entend avec le pédagogue, c’est-à-dire avec l’esclave qui est chargé, dans la maison, de surveiller le travail de l’enfant ; il le corrompt par des présens, il le paie, et le pédagogue recommande au père le grammairien qui lui a le plus donné. À Athènes, c’est pis encore. Quand l’écolier débarque au Pirée, rencontre d’abord des partisans de chaque école philosophique qui essaient de l’embaucher, comme on y trouve aujourd’hui des recruteurs pour les divers hôtels de la ville. Tout n’est pas fini quand il a fait son choix, et les professeurs travaillent par tous les moyens à s’enlever leurs élèves. Il y en a, dit Philostrate, qui donnent de bons dîners, avec de jolies petites servantes, pour prendre les jeunes gens dans leurs filets. Libanius lui-même, l’honnête Libanius, ne se refusait pas d’user quelquefois de quelques réclames innocentes, il priait les magistrats qui lui voulaient du bien, quand ils avaient entendu parler un de ses élèves et que le public paraissait content, de demander : « Où donc ce jeune homme a-t-il étudié » ? C’était une manière de mettre l’école de Libanius en renom. Du reste, il comptait encore plus, pour sort succès, sur son talent, et il avait raison. Le jour où il ouvrit son école d’Antioche, il n’avait que dix-sept auditeurs ; après ses premières harangues, il en vint cinquante, et bientôt, nous dit-il, sa renommée fut si grande que l’on chantait ses exordes dans les rues. Le malheur, c’est que, lorsqu’on tient sa réputation et sa fortune de ses élèves, on est trop tenté de les ménager. Comme on a eu beaucoup de peine à les conquérir, on est prêt à faire beaucoup de concessions pour les garder. On n’ose plus les gronder, de peur qu’ils n’aillent chercher des professeurs plus indulgens. Les rôles finissent par être renversés, et ce sont bientôt les élèves qui deviennent les maîtres. Le sage Favorinus s’indignait de ces complaisances : « On voit », disait-il, « des professeurs qui vont donner leur leçon chez les jeunes gens riches sans qu’on les ait appelés. Ils s’assoient devant la porte et attendent tranquillement que leur élève ait cuvé le vin qu’il a bu dans les festins de la veille ».

Des maîtres passons aux écoliers. Il y en avait, dans l’antiquité comme chez nous, deux variétés bien différentes : les boas et les mauvais. Les bons écoliers nous sont connus par quelques récits d’Aulu-Gelle. Cet excellent Aulu-Gelle, quoiqu’il soit arrivé à occuper des fonctions publiques, ne fut jamais qu’un de ces élèves honnêtes et appliqués qui redisent toute leur vie avec exactitude la leçon qu’on leur a faite. Il ne parle de ses professeurs que d’un ton attendri ; l’époque heureuse pour lui est celle où il étudiait et son souvenir le ramène toujours à l’école. Quand il y était, il faisait partie de cette élite d’écoliers qui– s’attachaient plus particulièrement au maître et ne le quittaient plus. La leçon finie, les autres s’en vont ; ceux-là restent. Il est rare que le maître ait un intérieur où il se retire