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un livre d’injures contre les pères de famille qui s’étaient montrés si peu généreux pour lui. Ces chances incertaines décourageaient les hommes de talent, et il est naturel qu’ils aient préféré dans la suite les positions moins brillantes, mais plus sûres, que leur offraient les écoles des villes et de l’état. C’est ainsi que décline et s’efface peu à peu l’enseignement libre qui jetait tant d’éclat sous les premiers césars. Mais il n’a jamais complètement disparu, et nous le retrouverons au Ve siècle, mentionné dans l’édit de Théodose II, qui fonde l’école de Constantinople.

Cicéron, nous l’avons vu, se plaignait que la république romaine eût témoigné peu de souci pour l’instruction de la jeunesse ; on ne peut pas faire le même reproche à l’empire. Dès le premier jour, et s’occupe des professeurs et semble vouloir les prendre sous sa protection. Jules César donne le droit de cité à tous ceux qui enseignaient les arts libéraux, c’est-à-dire aux grammairiens, aux géomètres, aux rhéteurs, qui étaient presque tous Grecs d’origine. C’était beaucoup d’en faire des citoyens romains, mais on fut plus généreux encore : on leur en accorda les privilèges sans leur en imposer les charges. Ils furent exemptés de la milice, des fonctions judiciaires, des sacerdoces onéreux, des tutelles, des ambassades gratuites au nom des villes, de la nécessité d’héberger les gens de guerre ou les agens de l’autorité dans leurs tournées. Nous avons une loi d’Antonin qui fixe, selon l’importance des villes, le nombre des médecins, des grammairiens, des rhéteurs qui jouiront de ces immunités. On les leur conserva jusqu’à la fin de l’empire, malgré le malheur des temps et les nécessités les plus pressantes. Au moment même où les honneurs municipaux deviennent des fardeaux écrasans auxquels on cherche à se soustraire par la fuite, quand les princes ne semblent occupés qu’à déjouer toutes les ruses par lesquelles on tente d’échapper à ces dignités ruineuses, une loi de Constantin déclare les professeurs « exempts de toutes les fonctions et de toutes les obligations publiques ». C’était alors le plus grand de tous les bienfaits.

Mais voici une innovation plus importante. Avec Vespasien, l’enseignement entre dans une phase nouvelle. L’état ne se contente plus d’honorer les professeurs par des privilèges et des immunités ; il manifeste pour la première fois la pensée de les prendre à son service. « Vespasien fut le premier », dit Suétone, « qui accorda aux rhéteurs, sur le trésor public, un salaire annuel de 100.000 sesterces » (20.000 francs.) Parmi ceux qui touchèrent ce traitement se trouvait Quintilien. Pendant vingt ans, sous des régimes divers, il professa la rhétorique à Rome, aux frais de l’empereur. L’essai de cet enseignement nouveau ne pouvait pas se faire avec plus d’éclat. Quintilien était un avocat illustre, qui avait étudié à fond