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faveur de l’enseignement public, et ses argumens me semblent sans réplique.

Du reste, au moment où Quintilien écrivait son livre, la cause qu’il plaide était gagnée. Longtemps l’aristocratie romaine avait tenu à élever ses enfans chez elle. Elle pouvait le faire aisément et sans beaucoup de frais, tant que l’éducation fut simple. Mais quand vint la mode de faire apprendre aux jeunes gens la grammaire et la rhétorique, il fallut se procurer des gens capables de les leur enseigner, et c’était une grande dépense. Q. Catulus paya, dit-on, un bon grammairien 700.000 sesterces (140.000 francs). Les pères de famille finirent par, trouver que l’éducation intérieure leur revenait trop cher, et, de leur côté, les professeurs s’aperçurent qu’ils gagneraient encore davantage en réunissant plusieurs élèves chez eux et que, du même coup, ils auraient l’agrément d’être plus libres. Nous voyons dans le petit traité de Suétone : de Grammaticis et Rhetoribus, que la plupart de ceux qui avaient commencé par enseigner dans les maisons des grands seigneurs se dégoûtent peu à, peu du métier et ouvrent des écoles. Ainsi firent successivement Antonius Gnipho, Lenæus, Cæcilius Epireta, c’est-à-dire les plus illustres de ces maîtres et les plus recherchés ; en sorte, dit Suétone, qu’à un moment on vit à la fois dans Rome vingt écoles célèbres où affluait la jeunesse. C’était la victoire de l’enseignement public.

Mais l’enseignement public peut être donné de diverses manières. Tantôt il est dans les mains des particuliers, qui ouvrent des écoles à leurs frais et les dirigent comme ils veulent : c’est l’enseignement libre ; tantôt les villes se chargent de l’entreprise, elles choisissent les professeurs et les paient : c’est l’enseignement municipal ; tantôt enfin ils sont rétribués par le trésor public et dépendent de l’autorité centrale c’est l’enseignement de l’état. Ces trois situations différentes, l’instruction à Rome les a successivement traversées. Elle a commencé par la première, s’est maintenue très longtemps dans la seconde, et n’est arrivée à la dernière qu’au moment même où les barbares ont détruit l’empire d’Occident.

À l’époque où florissaient les vingt écoles dont j’ai parlé, c’est-à-dire vers le temps d’Auguste ou de Tibère, on ne connaissait à Rome que l’enseignement libre. Un grammairien, un rhéteur, qui s’était fait connaître en élevant les fils de quelque grand personnage, devenu client de la famille où il avait été précepteur et comptant sur sa protection, louait, sous quelque portique, une salle plus ou moins vaste, suivant ses ressources ou ses espérances, et attendait les élèves. Le succès de ces entreprises était très variable ; tandis que Remmius Palæmon y gagnait plus de 400.000 sesterces par an (80.000 francs), Orbilius, le maître d’Horace, mourait de faim dans un galetas et ne se consolait de sa misère qu’en écrivant