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toute une vie d’homme pour être pratiqué en perfection. Il faut d’abord apprendre à l’élève la théorie complète de la rhétorique ; c’est une étude très longue, très délicate ; chaque maître s’étant plu à entasser les préceptes, à compliquer la science ; à créer des difficultés imaginaires pour le plaisir de les résoudre. À cet enseignement de théorie se joignent des exercices pratiques qui sont plus importans et plus difficiles encore. Quand l’élève connais les préceptes de l’art, on lui apprend à les appliquer ; il faut qu’il compose un discours, qu’il le retienne par cœur, qu’il le débite. Dans le débit, rien n’est laissé au hasard, on a voulu tout prévoir, tout régler. On apprend d’avance à l’élève le ton qui convient à chaque partie du discours, jusqu’où le bras doit s’élever pendant l’exorde et comment il faut tendre la main dans l’argumentation. Sur quelques points, des discussions se sont élevées, qui partagent l’école. Convient-il de frapper du pied, dans les momens où l’on s’emporte ? Est-il séant de déranger les plis de sa toge et, de la laisser flotter sur l’épaule vers la fin du discours ? Pline l’ancien, qui était un homme sévère et régulier, ne voulait pas en entendre parler, et il allait jusqu’à recommander qu’en s’essuyant le front, quand on suait, qu’on eût grand soin de ne pas déranger sa chevelure. Quintilien était moins rigoureux ; il pensait, au contraire, qu’un peu de désordre dans les cheveux et dans la robe marquait mieux l’émotion et pourrait toucher les juges. Un art si minutieux demandait, on le conçoit, beaucoup de temps et de travail, et le jeune homme ne pouvait encore qu’imparfaitement le connaître lorsqu’à dix-sept ans il prenait la robe virile et devenait citoyen.

C’est ainsi que, par l’union de la grammaire et de la rhétorique, et définitivement constitué ce qu’on pourrait appeler le cycle des études. On sait désormais ce qu’on apprendra dans les écoles ; la matière, le fond de l’enseignement public est trouvé. Il reste à voir comment cet enseignement lui-même est arrivé à naître.


IV

On a dû discuter plus d’une fois à Rome ; comme on l’a fait ailleurs, sur l’enseignement, public et l’enseignement privé ; on s’est souvent demandé sans doute s’il ne vaut pas mieux pour un enfant être élevé dans sa famille, près de ses parens, par un maître particulier, que d’aller dans les écoles où sont réunis les jeunes gens de son âge. La question a été longuement traitée par Quintilien dans un des premiers chapitres des Institutions oratoires. Après avoir exposé les raisons qui peuvent faire préférer l’un ou l’autre de ces deux genres d’éducation il conclut avec beaucoup de force en