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cation, des poètes n’exige pas moins de travail. Le maître lit d’abord, prælegit ; l’élève répète, et lorsqu’il a prononcé comme il convient, sans commettre aucune faute contre l’accent et la quantité, on reprend le passage et l’on essaie de se rendre compte de tout. Quand l’enfant sait parler correctement, qu’il a lu les poètes grecs et latins, il semble que son enseignement grammatical soit fini : la définition de Quintilien paraît épuisée ; mais, avec le temps, la grammaire s’est fort étendue, elle a reçu peu à peu des développemens qui ont singulièrement accru son importance. Et, d’abord, comment admettre que l’élève ne connaisse que les poètes et qu’on le laisse étranger à tous les auteurs qui ont écrit en prose ? Si la poésie doit rester l’objet principal de ses études, il faut bien qu’il ait quelque notion du reste : Nec pœtas legere satis est, excutiendum omne scriptorum genus. C’est un champ immense qui s’ouvre devant lui. Ajoutez que ces écrivains de toute sorte et de toute époque, le grammairien ne se contente pas de les lire ou même de les expliquer, il faut qu’il les apprécie et les juge. Il classe ceux des temps passés et leur donne des rangs ; il prononce sur le mérite des contemporains. C’est ainsi qu’il est devenu non seulement pour la jeunesse, mais pour la société tout entière, un critique autorisé, dont le jugement forme l’opinion publique. Les auteurs qui veulent être célèbres lui font la cour, et ceux qui, comme Horace, négligent de lui plaire, risquent de rester longtemps inconnus. Ce n’est pas tout encore, et l’étude de la littérature entière ne paraît pas suffire à occuper le temps des grammairiens : ils y joignent des sciences accessoires qui semblent indispensables pour que les élèves comprennent les auteurs qu’on leur fait lire. Est-il possible qu’ils mesurent les vers et en saisissent le mécanisme s’ils ignorent la musique ? Le grammairien est donc chargé de la leur apprendre. Les poètes sont pleins de passages où ils parlent du ciel et décrivent le lever et le coucher des astres : comment parviendra-t-on à les expliquer si le grammairien n’enseigne pas l’astronomie ? Enfin, comme il y a des poèmes entiers, ceux d’Empédocle par exemple et de Lucrèce, qui sont consacrés à exposer et à discuter des systèmes philosophiques, il est bon qu’on sache la philosophie, et la philosophie elle-même ne sera bien comprise que si l’on a quelque notion des sciences exactes, surtout de la géométrie et des mathématiques. C’est donc le cercle entier des connaissances humaines qu’embrasse la grammaire : « Avant de passer aux mains du rhéteur », dit Quintilien, « l’enfant doit avoir reçu ce que les Grecs appellent une éducation encyclopédique ».

Au premier abord, il semble que le rhéteur ait moins à faire que son collègue ; il n’est pas oblige de se disperser, comme lui, dans des études diverses. Il n’enseigne qu’un art ; mais cet art, c’est l’éloquence, le premier et le plus difficile de tous, celui qui demande