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en possession de ces droits énormes sans qu’il ait appris à s’en servir ? C’est un souci qui ne nous vient guère aujourd’hui. Nous mettons de gaieté de cœur le bulletin de vote dans la main d’un étourdi qui vient à peine de quitter l’école ou d’un ignorant qui ne connaît la politique que par les déclamations de la rue. Cette Athènes, qu’on nous dépeint si légère, n’agissait pas comme nous. Elle avait ordonné que les éphèbes assisteraient régulièrement aux assemblées publiques. Pendant deux ans, ils entendaient les plus grands orateurs discuter les questions les plus graves, ils connaissaient les divers partis sans en être, et, les voyant à l’œuvre, ils pouvaient les juger ; avant d’émettre un vote ils se faisaient une opinion. Ajoutons, comme curiosité, que la démocratie athénienne avait donné dans l’éphébie une grande place à la religion. Les éphèbes étaient de toutes les fêtes d’Éleusis ; ils accompagnaient, en chantant des hymnes, ces processions solennelles qui apportaient les objets sacrés au temple des Grandes Déesses. On les menait pieusement, à l’anniversaire des anciennes batailles, dans la plaine de Marathon ou prés des trophées de Salamine ; ils assistaient au premier rang à cette fête touchante qui se célébrait tous les ans en mémoire des Héros morts pour le salut ou la gloire d’Athènes. Telle était, dans ses grandes lignes, cette éducation patriotique, qui s’altéra probablement de bonne heure, mais dont la conception primitive fait grand honneur à la Grèce.

Il est aisé de voir ce qui manquait à la vieille éducation romaine pour ressembler tout à fait à celle des Athéniens. Toutes les deux s’occupent de former le jeune homme pour la politique et pour la guerre : voilà ce qu’elles ont de commun. Mais Rome néglige tout le reste ; elle ne prend de la gymnastique grecque que quelques exercices corporels qui suffiront à faire cette race solide de soldats trapus, courts de taille et larges d’épaules, qui a conquis le monde. Elle méprise la musique, qui n’est pour elle, qu’art d’esclave ou d’affranchi ; elle abandonne l’instruction littéraire à la volonté d’un père ignorant : elle ne forme qu’un homme incomplet.


II.

Un autre caractère de l’éducation athénienne, c’est qu’elle est la même pour tous les citoyens ; quelle que soit leur situation et leur origine, tous passent à leur tour par l’éphébie. Il n’en est pas de même à Rome : ces jeunes gens dont nous venons de parler, qu’on admet à écouter de la porte les délibérations du sénat et qui font partie, à l’armée, de la cohorte du général, ne sont qu’un petit nombre. Ils appartiennent à cette aristocratie de naissance ou de