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cohorte, « ils se rendaient capables de commander en obéissant ». Quant à la politique, on ne la leur enseignait pas en leur mettant dans les mains quelque traité de Platon ou d’Aristote, on les faisait assister aux séances du sénat. Ils se tenaient sur de petits bancs, près de la porte, et « on leur donnait par avance le spectacle de ces délibérations auxquelles ils devaient bientôt prendre part ». Cette éducation n’était pas la meilleure pour former un philosophe, mais elle faisait des hommes d’action ; elle avait de plus l’avantage de les faire vite. À vingt ans, l’homme qui, suivant le mot de. Cicéron avait eu le forum pour école et l’expérience pour maître, qui avait assisté à quelques batailles et entendu parler de grands orateurs, était mur pour la vie publique.

Je n’ai rien dit encore de ce que nous appelons proprement l’instruction, c’est-à-dire de ces études qui précèdent les autres, qu’on peut abréger et simplifier, mais qu’il n’est pas possible de supprimer tout à fait. Il fallait bien qu’avant de descendre au forum ou de partir pour l’armée, le jeune homme eût reçu ces connaissances élémentaires dont aucun homme ne peut se passer. Pour le commun des citoyens, il y avait des écoles publiques, dont je dirai quelques mots plus tard. Mais les enfans de grande maison ne les fréquentaient pas. « Leurs pères, dit Pline, devaient leur servir de maîtres : suus cuique parcus pro magistro ». Je suppose qu’en parlant ainsi il songeait à Caton. Nous savons que, lorsque Caton eut un fils, il tint à l’instruire lui-même. Il composa pour lui toute une encyclopédie des sciences de soir temps ; elle comprenait des traités d’agriculture, d’art militaire, de jurisprudence, des préceptes de morale, une rhétorique, enfin un livre de médecine où il disait beaucoup de mal des médecins grecs « qui ont juré de tuer tous les barbares avec leurs remèdes et qui se font payer pour assassiner les sens ». Il opposait sans doute à leur art problématique ce que l’expérience lui avait appris, à savoir que le chou guérit les fatigues d’estomac et qu’on remet les luxations avec des formules magiques. Caton, comme on le voie, remplissait son devoir avec un zèle exemplaire ; mais nous pouvons être certains que les piges comme lui étaient rares. Ordinairement ils s’en tiraient à meilleur compte. Ils achetaient un esclave lettré qu’ils chargeaient d’enseigner à leur fils ce qu’il était indispensable de lui apprendre. Malheureusement l’esclave avait feu d’autorité dans la famille ; pour le fils, c’était un complaisant plus qu’un maître. Plaute, dans une de ses pièces les plus amusantes, représente un jeune débauché, Pistoclère, qui veut entraîner, son pédagogue, Lydus, chez sa maîtresse. Lydus résiste, se fâche, fait la morale ; mais, quand il a bien parlé, le jeune homme se contente de lui dire : « Voyons, suis-je ton esclave ou toi le mien » ? Et Lydus, qui n’a rien à répondre, le