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de la presse n’a rien qui nous effraie ; mais qu’à une heure donnée les feuilles d’extrême gauche, celles qui représentent les plus violens du conseil municipal de Paris, se soient trouvées les auxiliaires et les confidens des bureaux de la chancellerie, il y a là un fait étrange qui prouve dans quel camp le cabinet recrute ses alliés. Non-seulement l’outrage aux magistrats, délit que punit la loi pénale, remplit les colonnes des journaux ; mais chaque diffamation, chaque injure reçoit sa récompense. Ici on lit les noms des « personnages à expulser de la magistrature, » là on signale au garde des sceaux le « faussaire » qui préside le tribunal de Mont-de-Marsan. Comme un docile écho, l’Officiel enregistre régulièrement les noms des magistrats dénoncés ; mais certaines vengeances tardent trop au gré des rédacteurs. On leur a accordé le président : « C’est fort bien, disent-ils, dans des articles brefs comme des sommations, c’est un commencement d’exécution. Il reste à compléter le balayage par l’exécution des quatre juges faux témoins. Nous espérons bien voir ces quatre noms figurer au prochain mouvement à l’Officiel. » Huit jours après, la révocation était faite, et le journal adressait ses remercîmens au ministre. Noms propres et injures remplissent les colonnes. Tel conseiller est « prévaricateur ; » à tel autre il est dû « un avancement qui consiste à le sortir du prétoire pour le mettre dans la rue. » L’insolence croît avec le succès : « Allons, monsieur le garde des sceaux, écrivent-ils, un coup de balai par là, c’est l’instant ! c’est le moment ! » Et M. Martin-Feuillée obéit. S’il tarde, on l’injurie : « Voilà le ministre qui capitule, écrit-on le 12 octobre. Allons ! monsieur le garde des sceaux, il faut revenir à Clermont avec le balai de Mont-de-Marsan et de Pau ! » Et M. Martin-Feuillée contresigne un décret qui répare une à une ses premières faiblesses. Entre des exigences nouvelles et des remercîmens, on peut lire les appels à l’ignoble manifestation de la gare du Nord. La chancellerie puise ses inspirations dans les feuilles qui cherchent à déshonorer la France.

C’est le malheur et la suite nécessaire d’une loi de haine que le ministre chargé de l’exécuter soit le prisonnier des partis extrêmes. Il a pu rêver un instant et promettre à la légère un examen attentif des dossiers, une enquête consciencieuse, des rapports spéciaux. Pour réfuter les discours d’opposition, il a de bonne foi engagé son honneur. Le flot est arrivé, l’a renversé, submergé, et il est devenu le jouet des colères. Nous ne parlons que des articles de la presse parisienne. Quelles listes nous pourrions dresser si nous voulions dépouiller les petits journaux de province ? Plus on se rapproche des électeurs, des comités qui les dirigent, et plus sont ardentes les passions contre les personnes. Aux dénonciations individuelles