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tout mouvement agressif de l’Autriche. C’est à quoi l’empereur ne put se résoudre ; il laissa en avant de Braunau, de l’autre côté de l’Inn, un corps avancé confié au général Minutzi, qui était censé couvrir la ville et qui, en réalité, restait exposé, sans forces suffisantes, au premier choc de l’armée du prince Charles de Lorraine. Cette imprudence ne tarda pas à porter ses fruits. Dès le commencement de mai, le prince Charles s’étant porté en avant, Minutzi fut culbuté, mis en déroute et fait prisonnier pendant que ses soldats rentraient en fugitifs dans la ville de Braunau. Cette place forte, qu’on avait eu tant de peine à garder l’hiver précédent, se trouva alors bloquée et (ses défenseurs, presque tous Bavarois, ayant perdu courage) elle se rendit au bout de très peu de jours. L’empereur, épouvanté autant qu’irrité, quitta Munich précipitamment pour se réfugier à Augsbourg. Ce fut, comme on peut le bien penser, un nouveau et interminable sujet de récriminations réciproques, les Bavarois se plaignant d’avoir été abandonnés, tandis que Broglie se félicitait de ne pas s’être laissé compromettre par leur témérité étourdie.

La question se présentait alors d’une façon tout à fait pressante. Le flot des Autrichiens débordant en Bavière, il fallait ou céder devant eux ou se mettre en mesure de leur tenir tête. Ce fut la situation que Broglie dut exposer au cabinet français après avoir été obligé de faire déjà un mouvement rétrograde pour se concentrer et se mettre provisoirement en sûreté sur le Haut-Danube, autour de la ville d’Ingolstadt. Un renfort d’environ vingt mille hommes, dix bataillons et douze escadrons, lui était promis depuis plusieurs mois et il en demandait plus que jamais l’envoi, n’ayant pas, disait-il, plus de trois cents hommes à mettre en ligne dans les bataillons qui lui restaient. Mais, en sollicitant ce secours, il laissait clairement entendre qu’il le verrait arriver sans beaucoup de satisfaction ni de confiance. Une autre idée était née dans son esprit et, bien qu’il ne fît que l’insinuer sous une forme dubitative et sans y insister, on pouvait y voir sans peine l’expression de son véritable désir. « Je ne sais, écrivait-il, si vous approuverez une idée qui m’a passé par la tête, qui serait, sans perdre de temps, de marcher avec cette armée, les douze bataillons et les dix escadrons que M. le maréchal de Noailles m’envoie pour le joindre, de marcher tout de suite avec ces deux armées rassemblées à mylord Stairs. Outre que je crois que nous serions supérieurs en force, il est bien différent de donner une bataille proche de soi ou de la donner à cent cinquante lieues. Je doute que les Autrichiens puissent y arriver avant nous. Voilà un canevas : il est aisé de broder dessus, si Sa Majesté approuve cette idée[1]. »

  1. Le maréchal de Broglie au comte d’Argenson, 7 juin 1743. (Ministère de la guerre.)