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abandonner. Mais requiescat in pace, nunc agamus ; » et, afin de ne pas laisser languir cette reprise de vigueur, il se décida à venir de sa personne à Munich pour se placer lui-même à la tête de ses troupes et marcher à la délivrance de son patrimoine.

Mais il avait compté sans la résolution obstinée du maréchal, qui, aux conseils mollement donnés par son ministre, se borna à répondre : « Il n’y a sorte de politesse et d’égards que je n’aie pour M. de Seckendorf tant que le service du roi n’y est pas intéressé, mais je suis ferme comme un rocher quand je vois que les propositions qu’il me fait ne tendent pas à ce but… A moins que le roi ne m’ordonne de condescendre à tout ce qu’il me demandera, je crois qu’il est de mon devoir de ne pas me rendre à ses vues, quand, après les avoir bien examinées, je trouve qu’elles ne tendent nullement au bien du service. » Ce fut contre ce rocher d’une volonté inébranlable que vinrent se briser toutes les objurgations de l’empereur. Si ce prince s’était flatté d’agir par sa présence et son éloquence plus efficacement que son général, il ne tarda pas à voir qu’il s’était trompé. Jamais il ne put décider le maréchal à faire sortir ses troupes de leur immobilité. Il est vrai qu’ils n’étaient pas placés tous deux au même point de vue. Ce que l’empereur demandait comme un pas en avant pour refouler les Autrichiens eût été pour le maréchal, dont les regards étaient toujours fixés sur la route de France, un pas en arrière qui l’éloignait d’un retour désiré et peut-être nécessaire.

Une entrevue très orageuse eut lieu entre eux aux environs de Munich, et l’empereur, après avoir épuisé les raisonnemens et les prières, essaya en désespoir de cause de faire usage d’autorité. Il déploya la patente royale qui, au début de la guerre, l’avait investi du commandement nominal de toutes les forces françaises. « J’ai d’autres ordres plus récens, répondit le maréchal sans sourciller. — Reprenez donc ce papier, répliqua l’empereur en froissant violemment le parchemin, je n’en ai que faire, puisqu’il ne sert de rien. » Quelques jours après, craignant de s’être emporté trop loin, il fit demander un nouvel entretien dans un rendez-vous qu’il fixa lui-même et où il se rendit de sa personne. Il obtint pour toute réponse que le maréchal, rentré dans son quartier-général, ne pouvait plus le quitter parce qu’il se trouvait gravement indisposé[1].

Du moment où, à tort ou à raison, le maréchal de Broglie refusait de bouger, les troupes impériales n’avaient qu’une chose à faire, c’était de se grouper, autour des troupes françaises sur la même ligne de défense, afin d’arrêter par leur masse imposante

  1. Carlyle, t. III, p, 653. — Mémoires de Luynes, t. V, p. 26.