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si graves et de si soudaines tempêtes ? à quelle fonce secrète elle a obéi, quelle organisation intime l’a préservée ?

La société civile a été sauvée parce qu’elle avait dans son sein tout un système qui contribuait à en maintenir les différentes parties, rassurant les uns contre l’excès des convoitises, les autres contre l’abus de l’autorité, s’interposant entre les violences des plus forts et les souffrances des plus faibles, intervenant à propos pour empêcher les désordres, quelle que fût leur origine, et ne se lassant pas de contribuer à la marche progressive de la civilisation par la justice. De même que le droit gouverne tous les rapports entre les hommes, le juge est l’arbitre de tous les conflits. Sans sortir de sa sphère, il contribue à calmer les passions, à panser les blessures, à faire rentrer chacun dans le devoir. Il faut avoir vécu par l’étude en des temps, où les tribunaux ; étaient livrés à la partialité pour mesurer le mal que peuvent faire de mauvais juges. Notre génération n’a pas connu ce désordre. Puisse-t-elle ne pas apprendre ce qu’il entraîne à sa suite de troubles dans les esprits ! L’absence de justice, a rendu possibles des crimes privés, qui, dès 1790, ont été les avant-coureurs des crimes publics. Qu’on y prenne garde ! Depuis cent ans, malgré neuf révolutions, la société n’a sombré qu’une fois. Les révolutionnaires, tant de fois déçus dans leurs espérances, savent aujourd’hui et répètent qu’il faut désorganiser la justice pour préparer de longue main l’anarchie. C’est seulement alors, qu’elle devient irrémédiable. Depuis 1815, aucune de nos révolutions n’a connu ce désordre intime de la société, si différent du désordre politique, moins violent, mais plus durable et plus corrupteur que les émotions de la place publique. Dieu veuille que le travail commencé depuis cinq armées ne nous fasse pas voir des maux que nous ont épargnés les secousses cruelles, mais brèves, de nos révolutions contemporaines !


I

De tous les discours qui ont donné le commentaire de la loi votée en août 1883 pour suspendre l’inamovibilité et livrer la magistrature à l’épuration, le plus ardent, le plus significatif fut prononcé par M. Madier de Montjau. Le député de Valence fit entendre un réquisitoire qui enflamma les passions de la chambre ; il montra la France, à peine relevée de ses désastres, s’adressant en suppliante à ses représentans et leur criant : « Délivrez-nous de nos magistrats ! » Il multiplia les imputations, fit à la charge des juges des récits odieux dont son enfance, disait-il, avait été bercée, et termina par une comparaison imprévue dans laquelle il mettait