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diplomatie se rattacherait, dit-on, la nomination toute récente du prince Orlof au poste d’ambassadeur de l’empereur Alexandre III à Berlin.

Depuis bien des années déjà, le prince Orlof représentait la Russie à Paris. Par son esprit, par son caractère, par les sympathies qu’il a témoignées à la France dans des momens difficiles, il s’était fait une position presque exceptionnelle dans la société parisienne comme auprès des gouvernemens qui se sont succédé. Il s’était pour ainsi dire naturalisé Français sans cesser d’être Russe, et nul n’était mieux placé pour maintenir les relations d’amitié entre les deux pays. On s’était accoutumé à voir comme un hôte d’élite à Paris ce brillant gentilhomme fusse qui portait sur son visage les glorieuses cicatrices de la guerre, qui savait mettre aussi de la finesse, de l’esprit de conciliation, même un certain libéralisme dans sa diplomatie. Si le prince Orlof, qui a la confiance de son souverain, qui est un personnage considérable de la Russie, et qui était si bien placé parmi nous, est appelé aujourd’hui de Paris à Berlin, c’est qu’il y a sûrement une sérieuse et délicate mission à remplir. Cette mission, d’après toutes les apparences du moment, ne peut être que de donner un caractère nouveau et suivi au rapprochement dont M. de Giers a été l’heureux négociateur Le prince Orlof est le plénipotentiaire choisi par le tsar Alexandre III, agréé avec empressement par l’empereur Guillaume, pour représenter l’alliance renaissante des deux empires. C’est fort bien ; mais ici s’élève aussitôt une autre question qui peut avoir son importance, qui n’est point encore bien éclaircie. Quelles seront les conséquences, quelle est dès ce moment la signification réelle de cette alliance qui sembla se renouer dans des conditions toutes particulières entre l’Allemagne et la Russie ? Dans quelles mesure se rattache-t-elle aux vastes combinaisons de M. de Bismarck, à cette autre alliance si étroite, si intime, que le chancelier de Berlin s’est étudié a nouer depuis quelques années avec l’Autriche, dont il a paru faire le pivot de sa politique ? M. de Bismarck ne fait sans doute rien à la légère ; il a de plus quelquefois les malices superbes d’un prépotent qui joue avec toutes les combinaisons et déroute toutes les conjectures. Tandis qu’il négociait récemment son entente avec la Russie, il faisait publier d’un autre côté par un de ses confidens, M. Busch, des révélations désagréables pour l’Autriche. M. Busch, ce Dangeau teuton du chancelier, a dévoilé d’anciens pourparlers qui réveillent des souvenirs pénibles pour l’empereur François-Joseph, et ces révélations rapprochées des négociations de la cour de Berlin avec la cour de Russie ont visiblement causé une certaine surprise, peut-être quelque malaise à Vienne. On a pu se demander ce que poursuivait réellement M. de Bismarck, Veut-il montrer qu’il est homme à partager ses faveurs, qu’il n’a pas besoin de l’Autriche et qu’il pour-