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voyantes ? Assurément il est plus que temps de s’arrêter, si l’on veut épargner à la république la triste fortune de préparer la décomposition et la ruine de la France.

Le monde européen a sûrement lui-même ses agitations sourdes ou ses oscillations. Il a, dans tous les cas, quelque peine à se créer on certain équilibre puisqu’on le voit tour à tour essayer de toutes les combinaisons, épuiser tous les systèmes d’alliances, tous les expédiens de diplomatie. C’est un mouvement qui n’est pas toujours facile à saisir, qu’on prendrait pour une énigme, et qui ne laisse pas d’être curieux à suivre.

Il y a quelques mois, tout semblait reposer en Europe sur l’alliance intime de l’Allemagne et de l’Autriche, et autour des deux empires venaient se grouper, un peu bruyamment, tous ceux qui se croyaient intéressés à se tourner du côté où ils voyaient la puissance. Parmi les rois et les princes, c’était à qui se rendrait au camp de l’empereur Guillaume à Hombourg ou irait faire une station à Vienne. Les diplomates avaient leurs entrevues, les conférences se multipliaient. On ne rêvait qu’alliances, et, chose à remarquer, tandis que tout cela se passait au centre de l’Europe, la Russie se retranchait dans une réserve silencieuse, observant un mouvement qui lui était suspect. Ses relations avec l’Allemagne, surtout avec l’Autriche, n’avaient pour le moment rien de cordial. On ne parlait que de concentrations militaires sur la frontière de la Gallicie ou sur la Vistule. Bref, il y avait des difficultés, des froissemens, presque des défis mal déguisés entre les trois puissances jadis alliées, et c’en même ce qui a pendant quelque temps ému l’Europe en répandant un peu partout la crainte vague de complications prochaines, de la « guerre au printemps. » Que s’est-il passé depuis ? Il ne faudrait pas jurer que tout soit absolument changé dans le fond des choses. On ne peut cependant douter que, depuis quelques mois, depuis quelques semaines, la situation diplomatique ne se soit singulièrement modifiée. Les nuages se sont dissipés du côté de la Russie. Le ministre des affaires étrangères du tsar, M. de Giers, rentrant à Saint-Pétersbourg après un séjour en Suisse, est passé par Vienne ; il est allé aussi, il est allé surtout voir M. de Bismarck dans une de ses retraites, à Friedrichsruhe, et ces visites paraissent n’avoir point été infructueuses. M. de Giers a paru en messager de paix et de réconciliation après les malentendus du dernier été. Ces jours derniers encore, comme pour compléter l’ouvrage de M. de Giers, un envoyé militaire du tsar, le prince Dolgorouki, est allé, lui aussi, avec une mission toute d’amitié et de confiance auprès du tout-puissant chancelier de l’empereur Guillaume. En un mot, on s’est expliqué, on s’est entendu pour renouer entre l’Allemagne et la Russie les vieux rapports d’intimité, et à cette phase nouvelle de