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ressorts administratifs pour assurer une domination de parti. Ils ne lui auraient pas donné une armée de cinquante mille fonctionnaires de plus pour propager ses idées ou pour patronner des intérêts électoraux. Aujourd’hui tout est changé. On ne veut pas seulement laisser l’état à son rôle naturel de protecteur de la sécurité publique ; on le chargerait de tout, même, si on l’osait, de régler les salaires, — et surtout de refaire l’esprit, l’âme de la France par un enseignement de secte. D’une œuvre qui pourrait certes avoir sa grandeur et dont personne ne contesterait l’utilité, de ce développement de l’instruction primaire on fait un instrument de guerre, une œuvre d’exclusion et de parti qui divise les populations, qui expose l’état à sortir de son rôle d’impartialité pour être un persécuteur des croyances. Et voilà comment les réformateurs du jour entendent servir la république !

C’est la partie morale, philosophique de cette loi nouvelle sur l’enseignement laïque, qu’on s’est hâté de mettre en discussion, comme s’il n’y avait rien de plus pressé ; mais il y a une autre partie qui n’est pas moins caractéristique et qui a même une gravité particulière aujourd’hui, c’est ce qu’on peut appeler la partie financière. On peut bien décréter l’extension indéfinie de l’enseignement laïque et multiplier les instituteurs, inscrire dans une loi des augmentations de traitemens. La question est d’avoir de l’argent pour suffire à tout. On a déjà dépensé les millions sans compter ; on a démesurément grossi le budget de l’instruction publique, épuisé les crédits qu’on avait et même ceux qu’on n’avait pas. On a obligé les départemens, les communes à s’endetter pour construire ces écoles laïques dont on veut faire les rivales des églises. Tout est engagé. Maintenant la loi nouvelle, à elle seule, représente une charge qui ne sera pas de moins de 21 millions pour la première année, qui montera bientôt à plus de 50 millions et qui s’élèvera par la suite à plus de 100 millions. M. Paul Bert assure, il est vrai, qu’on s’en tirera à moins de frais, qu’on pourra faire des économies, par exemple sur les maîtres congréganistes qu’on est obligé de garder et qu’on ne paiera pas autant que les autres instituteurs. Le chiffre reste toujours considérable. Or quel moment choisit-on pour proposer ces dépenses nouvelles ? Tout juste le moment où le déficit est dans nos finances, où l’on a la plus grande peine à maintenir une certaine apparence d’équilibre dans le prochain budget. Qu’à cela ne tienne, disent encore les réformateurs, on supprimera le budget des cultes si l’on veut, ou bien il y a une commission qui trouvera des ressources par un remaniement complet de notre système financier. Oui, on remaniera, ou, en d’autres termes, on achèvera la désorganisation. Et, quand nous disons qu’un des malheurs du moment présent, c’est qu’on ne sait pas où l’on va, est-ce qu’on ne le voit pas par toutes ces œuvres confuses, par toutes ces propositions incohérentes et impré-