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l’a dit, des tragédies de cabinet, mais, au contraire, les objections que l’on fait valoir contre elles, qui sont, si je puis dire, des objections de cabinet. J’entends par là que ceux qui les font ne les feraient pas, ou, du moins, selon le proverbe, y réfléchiraient à deux fois, s’ils commençaient par s’interroger eux-mêmes sur les conditions du drame, et n’examinaient pas les tragédies de Racine comme ils feraient des œuvres mortes, auxquelles ils appliquent indistinctement, sous prétexte que c’est par la lecture et dans le cabinet qu’ils en prennent connaissance, les mêmes principes de critique.


Au moment de terminer, il nous vient un scrupule, et nous nous demandons si, dans ce résumé de son livre, M. Deschanel se reconnaîtra. Car, n’aurions-nous pas peut-être appuyé trop fortement sur quelques idées qu’il s’était contenté d’indiquer ? mais, au contraire, sur quelques-unes de celles qu’il a développées avec plus de complaisance, n’aurions-nous pas glissé trop rapidement ? C’est, à vrai dire, une espèce d’infidélité qu’il est toujours difficile de ne pas commettre quand on prétend réduire, en une douzaine de pages, deux volumes aussi pleins de toute sorte de choses. On court au plus pressé tout d’abord, et, le plus pressé, c’est ordinairement, dans un livre de ce genre, ce qui nous ressemble le plus. Avouons donc franchement, pour ne pas trop le compromettre aux yeux des romantiques, s’il en reste quelqu’un, que nous avons fait M. Deschanel un peu plus racinien qu’il ne l’est, et ne laissons pas croire qu’il donnât les mains à tout ce que nous avons dit, ni surtout à ce que nous avons volontairement omis. Ce que nous avons exprimé sous forme dogmatique, il a eu l’art de l’atténuer d’avance en l’éparpillant, pour ainsi dire, dans son livre, sous la forme plus discrète de l’insinuation ; et beaucoup de restrictions ou réserves que nous n’avons pas cru devoir faire, ceux qui n’aiment pas Racine tout à fait autant que nous l’aimons doivent être avertis que M. Deschanel les a faites. Ce n’est qu’une question de nuance, comme on dit, mais il fallait indiquer la nuance. Nous avons trouvé notre profit dans le livre de M. Deschanel, et les amis des nuances y trouveront leur compte. Il ne nous reste plus maintenant qu’un souhait à former : c’est que M. Deschanel ne s’arrête pas en chemin, qu’il nous donne promptement une suite à ces deux volumes, et, — puisque nous en sommes à former des souhaits, — que son exemple enfin et son succès encouragent nos professeurs de littérature française, qui semblent sommeiller, à nous donner plus souvent qu’ils ne font signe d’activité, pour ne pas dire d’existence.


F. Brunetière.