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fruits dont il aimait à se barbouiller le visage : « Va-t-il encore murmurant parmi les glaïeuls et les joncs, demandait-il aux hirondelles, le ruisseau où ma muse en extase but ses premières inspirations ? »

Sa ville natale lui fut toujours chère ; mais plus chère encore lui était l’Espagne, sa grande patrie. Il l’aimait d’un amour passionné, exclusif et jaloux. Cet Espagnol espagnolisant affirmait que tout ce qui est grand est espagnol. Qui donc a osé prétendre qu’il n’y a plus de Pyrénées ? Il les voyait si hautes qu’elles lui cachaient le reste du monde. Conservateur ou plutôt réactionnaire dans l’âme, son patriotisme intransigeant fit plus d’une fois violence à ses opinions. Par haine de l’invasion française, il prit le parti des conjurés de Cadix contre le roi Ferdinand VII, qui lui plaisait beaucoup ; par haine de la loi salique, cette invention franque, il épousa la cause d’Isabelle II contre don Carlos, dont les principes ne lui répugnaient point. Toute vérité qui n’était pas née en Espagne lui était suspecte ; il était tenté de se plaindre qu’il n’y eût pas une arithmétique péninsulaire, à l’usage spécial des Castillans et des Andalous. Il est vrai que la sienne ne ressemblait pas à celle de tout le monde, que dans ses comptes de ménage deux et deux ne faisaient pas toujours quatre. L’Espagne et là-bas, il n’avait pas d’autre géographie, et tout ce qui se passait là-bas lui semblait médiocre ou déplaisant.

En littérature aussi, il était l’esclave des formules, des traditions nationales, et, après l’an de grâce 1830, il composait encore des églogues, des poèmes bucoliques. L’avènement subit du romantisme le consterna ; rien ne pouvait être plus contraire à son tempérament. Il considérait la vie comme une belle invention ; le byronien, qui se regarde comme la fin et le centre de l’univers, a souvent maille à partir avec lui. Il avait l’âme à fleur de peau, et même dans l’élégie, la gaîté était sa muse ; le byronien approfondit tout, raffine tout, mêle du mysticisme aux voluptés. Il n’avait jamais cherché de querelle ni au monde, ni à Dieu ; le byronien dirait volontiers comme cet Allemand ; « En Dieu lui-même je découvre des défauts. » Quoique Espronceda et Zorrilla fussent des byroniens tempérés, il leur reprochait leur scepticisme, l’amertume de leurs désenchantemens. Il leur en voulait surtout d’être les disciples de l’étranger, de cultiver dans leur jardin des plantes exotiques, dont le parfum ne lui revenait pas. Malheureusement, ils avaient la vogue ; ses Cythères, ses Philis semblaient un peu démodées, et si bon musicien qu’il fût, on n’écoutait pas sa flûte. Dans son dépit, il quitta les vers pour la prose. Il composa ses charmantes Scènes andalouses, où il répandit toute la grâce de ses souvenirs de jeunesse en les assaisonnant d’une malice sans fiel. Mais, comme ses vers, sa prose sentait l’antique. Puriste implacable, il avait juré de ne parler que l’espagnol de l’âge d’or, et ses archaïsmes nuisaient à sa popularité. Ses pastorales faisaient penser à Melendez et à Gongora ; les