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nous sommes des citoyens américains ! La Caroline est un de ces fiers états : ses armes ont défendu, son sang a cimenté cette heureuse union. Et maintenant ajoutez, si vous le pouvez sans horreur et sans remords : Cette heureuse union, nous allons la dissoudre ; ce tableau de paix et de prospérité, nous allons l’effacer ; ces plaines fertiles, nous allons les abreuver de sang ; la protection de ce glorieux drapeau, nous allons y renoncer ; le nom même d’Américains, nous allons le répudier ! Et pourquoi hommes égarés ! .. Pour le rêve d’une indépendance séparée, pour un rêve que ne tarderont pas à interrompre de sanglantes luttes avec nos voisins et une soumission honteuse à une puissance étrangère. »

Cette proclamation fut accueillie dans tous les états fidèles à l’Union par des démonstrations d’enthousiasme auxquelles s’associèrent les adversaires mêmes de Jackson ; mais elle provoqua dans l’état rebelle un redoublement de colères et de violences. La législature invita le gouverneur à mettre le peuple en garde contre les tentatives que ferait le président pour le détourner de l’obéissance due aux pouvoirs de l’état et à faire appel aux citoyens pour défendre contre des menaces arbitraires la liberté et la dignité de cet état. Hayne, qui venait d’être élu gouverneur, se confirma à ces résolutions et publia le 20 décembre une proclamation dans laquelle il dénonçait les doctrines du président comme fausses et mensongères, et comme tendant à l’établissement d’un grand empire un et indivisible qui serait le pire de tous les despotismes. Il déclarait en terminant que l’état de la Caroline défendrait sa souveraineté ou s’ensevelirait sous ses ruines.

Quelques jours après, Calhoun donna sa démission des fonctions de vice-président des États-Unis et se fit élire sénateur de la Caroline du Sud en remplacement de Hayne[1]. Il quitta dans les premiers jours de 1838 son habitation de Fort-Hill, d’où il avait dirigé la lutte, pour se rendre à Washington et prendre son siège au sénat. Un de ses biographes a comparé ce voyage à celui de Luther se rendant à la diète de Worms. Lorsque le grand nullificateur, comme le nommaient ses contemporains, entra dans la salle des séances, le vide se fit autour de lui et ses anciens amis s’éloignèrent. Un mouvement se produisit dans l’assemblée au moment où il se leva pour prêter serment à la constitution : il prononça la formule du serment d’une voix haute et ferme sans trahir l’embarras ni l’émotion par le tressaillement d’un seul muscle de son visage. Le 26 janvier, le président, qui venait d’être réélu, adressa au congrès un message dans lequel il rendait compte des mesures votées

  1. M. Parton assure qu’à cette époque on frappa un certain nombre de médailles avec cet exergue : John C. Calhoun, premier-président de la Caroline du Sud.