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flot de l’émigration n’y apportait pas ces hardis pionniers qu’attiraient les prairies et les forêts de l’Ouest, mais qu’éloignaient également des états du Sud l’ombrageuse défiance des planteurs et la compétition du travail servile.

Ainsi se trouvaient juxtaposées deux sociétés que séparait une opposition absolue d’intérêts fondée sur un antagonisme absolu de principes. Cette opposition si profonde que, suivant l’observation de Calhoun, elle n’aurait pu être plus complète entre deux nations, n’avait pas été créée par le tarif, mais il l’avait fait éclater à tous les yeux. L’intérêt du Sud était incontestablement de se procurer au meilleur marché possible, en échange des produit, de son sol qu’il exportait, les objets nécessaires à la consommation, quelle qu’en fût la provenance. Or le système américain l’obligeait sans compensation à consommer uniquement les produits des manufactures du Nord, produits d’un prix supérieur et d’une qualité inférieure à ceux des produits similaires de l’industrie européenne. L’agriculture du Sud payait ainsi un lourd tribut à l’industrie du Nord et, comme les droits de douane formaient la principale source de revenu du gouvernement fédéral, le Sud se plaignait, non sans raison, de supporter à peu près exclusivement les charges de l’Union.

On comprend sans peine l’exaspération que firent naître dans les états dont les intérêts se trouvaient si profondément, atteints les dispositions exorbitantes du tarif de 1828. Par une tactique trop commune, mais dont les partis qui l’ont employée ont eu rarement lieu de s’applaudir, les représentans du Sud avaient volé les plus monstrueuses de ces dispositions et les avaient fait adopter malgré l’opposition des représentans de la Nouvelle-Angleterre dans l’espoir que ces exagérations même détermineraient le rejet de l’ensemble du projet. Leur espérance avait été déçue et la loi avait été votée par une majorité peu considérable, dans laquelle s’étaient trouvés confondus, sous l’influence des préoccupations de l’élection présidentielle, les partisans d’Adams et ceux de Jackson, Webster et Van Buren. Sans même attendre ce vote, on avait discuté dans les états du Sud les moyens à employer pour s’opposer à la mise en vigueur à la loi nouvelle. Au mois de décembre 18 7, la législature de la Caroline du Sud avait nommé un comité chargé d’étudier la nature et l’étendue des droits du gouvernement fédéral en matière de tarif ; des résolutions analogues avaient été, prises dans plusieurs états voisins, et l’un des partisans les plus déterminés de la résistance dans la Caroline du Sud, le colonel Hamilton, avait hautement proclamé le droit des états particuliers de prononcer la nullification des actes inconstitutionnels du gouvernement fédéral.

Les nullificateurs invoquaient comme un précédent les résolutions prises en 1798 par la Virginie et le Kentucky à l’occasion de