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un monde qui la repousse une femme d’éducation médiocre et de réputation douteuse. Jackson le constata non sans surprise et sans colère. La femme du vice-président et celles des ministres refusèrent de recevoir Mrs Eaton. La propre nièce du président, Mrs Donelson, qui faisait les honneurs de la Maison-Blanche, ne put se décider à subir les relations auxquelles elle se voyait contrainte et quitta Washington pour retourner dans le Tennessee. Les susceptibilités du corps diplomatique ne furent pas moins vives ; et la femme du ministre des Pays-Bas, près de laquelle Mrs Eaton était venue s’asseoir dans un grand dîner, affecta de se lever brusquement comme pour éviter jusqu’à son contact. Chacune de ces humiliations blessait Jackson comme autant d’insultes personnelles : il s’était constitué le champion de Mrs Eaton et le garant de sa vertu ; il multipliait les démarches en sa faveur ; il écrivait de nombreuses lettres dans lesquelles, avec son intempérance ordinaire de langage, il plaidait la cause de sa protégée et il attaquait violemment ses détracteurs. Non content de cette correspondance et de ces démarches quelque peu compromettantes pour la dignité présidentielle, il réunissait le 11 septembre 1829 les membres de son cabinet pour s’expliquer à ce sujet en leur présence avec deux respectables clergymen qui s’étaient faits auprès de lui les interprètes de l’opinion. Il se répandait à la fois en protestations et en invectives ; il s’efforçait d’établir que la femme du secrétaire de la guerre était victime des calomnies qui n’avaient pas épargné Mrs Jackson. Avec cette obstination haineuse qui prenait parfois chez lui le caractère de la monomanie, il désignait Clay comme l’instigateur de ces calomnies, et il jurait « devant l’Éternel » que les auteurs de scandale qui avaient empoisonné la vie de sa bien-aimée Rachel ne triompheraient pas de « sa petite amie Peggy. »

On comprend le parti que pouvait tirer de cette situation un politicien habile et médiocrement scrupuleux. Calhoun, avec l’austérité hautaine de son caractère et la sévérité traditionnelle des familles de la Caroline du Sud, avait hautement approuvé le refus de sa femme d’entrer en relations avec Mr* Eaton, malgré les instances du président. Van Buren, qui était veuf, se montra plein d’égards et de prévenances pour la femme de son collègue de la guerre, fréquenta assidûment son salon et la pria de présider a ses réceptions. Il parvint à faire entrer dans ses vues deux membres considérables du corps diplomatique, tous deux célibataires et désireux de se concilier les bonnes grâces du président, le ministre d’Angleterre Yau-ghan, et le baron de Kriidener, ministre de Russie. Ils l’accompagnèrent chez Mr* Eaton et donnèrent des fêtes dont elle fit les honneurs. Jackson, auquel elle avait coutume de faire la confidence des humiliations qui lui avaient été si souvent infligées, apprit