Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/173

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

produisirent dans divers états sous la même impulsion. Jackson se laissa aisément fléchir, et son organe officieux, le Globe, déclarait au mois de janvier, l’année suivante, que sa candidature devait être considérée comme posée devant le pays.

Toutes les éventualités avaient d’ailleurs été soigneusement prévues. La santé du président avait été assez gravement atteinte à la fin de 1829 pour laisser craindre à ses amis qu’il n’arrivât pas au terme légal de sa présidence. Il importait à tout événement de l’amener à exprimer ses préférences au sujet du choix de son successeur dans une sortie de testament politique. Il s’y prêta de bonne grâce, et le 31 décembre 1829 il adressa à son vieil ami le juge Overton une lettre qui renfermait le passage suivant :

« J’ai trouvé en M. Van Buren tout ce que je pouvais désirer et je le crois digne non-seulement de ma confiance, mais de la confiance de la nation… Il a toutes les qualités nécessaires pour occuper la plus haute fonction que puisse conférer le peuple, et le peuple trouver en lui un ami sincère et un gardien fidèle de ses droits et de sa liberté… Je voudrais pouvoir en dire autant de M. Calhoun et de quelques-uns de ses ami ! »

Le ton de cette lettre montre que, dès cette époque les dispositions de Jackson, tant à l’égard de Calhoun que de Van Buren, étaient telles que pouvaient le souhaiter les amis les plus ardens de ce dernier. Un incident ridicule et frivole en apparence avait trop contribué à ce résultat pour qu’il soit permis de le passer sous silence. Les républiques ont, comme les monarchies, leur intrigues de cour, et il est parfois nécessaire d’interroger la chronique scandaleuse pour éclairer et compléter l’histoire.

A l’époque où Jackson siégeait au congrès, il était, ainsi qu’un certain nombre de ses collègues, l’hôte assidu d’une taverne en vogue tenue par un Irlandais nommé William O’Neil. Ce dernier avait une fille, beauté rousse assez piquante, dont les habitués de la taverne paternelle goûtaient fort lu liberté d’allures, les reparties hardies et faciles, la gaîté communicative et provocante. Peg O’Neil, comme on la nommait familièrement, épousa un trésorier de la marine qui, en 1828, étant de service dans la Méditerranée, se coupa la gorge dans un accès de spleen causé par l’ivresse. Sa veuve ne se montra pas inconsolable, et, au bout de quelques mois, elle devint la femme du major Eaton, qui, du vivant de son premier mari, s’était fait remarquer par ses assiduités auprès d’elle. Jackson avait été consulté sur ce mariage et l’avait approuvé : trois nuis après il faisait du major Eaton son ministre de la guerre, et Peg O’Neil se trouvait appelée par sa situation officielle à prendre place dans la plus haute société de Washington. Il est malaisé, quelle que soit la forme du gouvernement et quelle que soit l’autorité de son chef, d’imposer à