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prédécesseurs. Pour justifier les scandaleuses révocations qu’il venait de prononcer, il les érigeait en système et il soutenait qu’il est de l’essence des gouvernemens démocratiques de renouveler incessamment le personnel administratif en établissant un mode de rotation dans les emplois (rotation in office). Enfin, abordant un redoutable problème, dont la solution devait remplir et troubler son administration, il soulevait la question du privilège de la Banque nationale des États-Unis : « Ce privilège, disait-il, expire en 1836, et les actionnaires de la Banque en demanderont sans doute le renouvellement. Pour éviter les inconvéniens qui résulteraient d’une trop grande précipitation dans l’examen d’une mesure qui touche à des principes si importons et à des intérêts pécuniaires si considérables, je sens que je ne puis, sans injustice envers les parties intéressées, la soumettre trop tôt à l’attention scrupuleuse de la législation et du peuple. Un grand nombre de nos concitoyens contestent à la fois la constitutionnalité et la convenance de la création de cette banque ; et tous doivent reconnaître qu’elle n’a pas réussi à atteindre son but essentiel, c’est-à-dire l’établissement d’une bonne et uniforme circulation. »

Le message fut froidement accueilli au Sénat. Cette assemblée, qui réunissait dans son sein les hommes politiques les plus éminens et les premiers orateurs de ce temps, était peut-être la plus remarquable qu’aient possédée les États-Unis. Quoiqu’elle ne fût animée d’aucune hostilité envers Jackson et qu’elle appartînt en majorité au parti qui l’avait élu, elle entendit avec une défaveur visible la déclaration de guerre inopinément jetée à la Banque nationale et l’audacieuse glorification du système qui faisait des emplois publics le prix de la victoire. Elle eut bientôt l’occasion de manifester ses sentimens à l’égard de cette politique lorsque les nominations aux postes les plus élevés de l’administration et de la diplomatie furent, conformément aux prescriptions constitutionnelles, soumises à la ratification. Plusieurs des hauts fonctionnaires, choisis par le président, furent écartés, les uns par un vote unanime, les autres par des majorités considérables. Le sénat se montra particulièrement sévère pour les journalistes, dont Jackson avait voulu récompenser les services électoraux : la nomination d’Isaac Hill comme second contrôleur de la trésorerie fut repoussée : celle d’Amos Kendall au poste de quatrième auditeur de la trésorerie ne fut confirmée que grâce, à la voix prépondérante du vice-président Calhoun, qui redoutait la concurrence que pourrait faire au Telegraph de Duff-Green l’ancien rédacteur de l’Argus rendu aux travaux du journalisme[1].

  1. Kendall’s Autobiography, p. 371.