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hiérarchiques. Les conséquences du système n’ont pas été moins funestes dans l’ordre politique : les fonctionnaires constituent, pour le parti qui détient le pouvoir, la plus formidable agence électorale qui fut jamais[1] ; ce sont leurs intérêts propres qu’ils défendent en servant par tous les moyens les intérêts de ce parti : c’est leur maintien dans leurs emplois qu’ils assurent en travaillant au succès de ses candidats. Le parti adverse a, lui aussi, son armée, qu’il conduit à l’assaut du pouvoir et à la conquête des dépouilles. Chaque élection devient un champ de bataille où se rencontrent ces deux phalanges rivales : mêlée furieuse où toutes les armes sont bonnes, véritable lutte pour la vie dont l’enjeu n’est pas le triomphe d’un principe, mais la possession et l’exploitation d’un emploi ! Le mal a pris de telles proportions que la question de la réforme, ou, comme l’a dit le général Grant dans un de ses messages, de la purification du service civil, est devenu le plus pressant en même temps que le plus insoluble des problèmes. Elle intéresse également l’avenir et l’honneur de la démocratie américaine.

L’épuration du personnel avait absorbé toute l’activité de Jackson pendant les premiers mois de sa présidence. Mais le moment était venu pour lui d’aborder enfin les grandes questions politiques et de faire connaître le programme de son gouvernement. Il le fit dans son message au congrès du 8 décembre 1829, où il était aisé de retrouver, sous les habiletés de la rédaction et la modération voulue du langage, l’empreinte de ses préoccupations personnelles et de ses rancunes. La passion qui l’animait contre Adams et Clay et le désir d’infliger à l’élection de son prédécesseur une sorte de censure rétrospective lui avaient inspiré une série d’amendemens aux dispositions constitutionnelles relatives au mode d’élection du président qu’il recommandait à l’attention du congrès. Il demandait que le président fût toujours élu par le peuple, même dans le cas de ballottage et non rééligible ; et pour le cas où, contrairement à son opinion, la chambre des représentans conserverait le droit de choisir entre les candidats qui auraient obtenu le plus grand nombre de voix, il proposait qu’aucun des membres qui auraient pris part à ce vote ne pût être appelé par le nouveau président à une fonction publique ; il se prononçait même d’une manière absolue contre l’admissibilité des membres du congrès aux emplois publics, quoiqu’il en eût nommé un plus grand nombre qu’aucun de ses

  1. Un sénateur de l’Ohio, M. Pendleton a dénoncé au sénat, en 1882, la circulaire d’un comité électoral réclamant aux fonctionnaires une cotisation annuelle égale à 2 pour 100 du chiffre de leurs appointemens pour faire face aux dépenses électorales du parti. Les récriminations qui ont été échangées à ce sujet ont montré que ces procédés étaient également employés par les partis opposés et qu’aucun d’eux n’était disposé à en condamner l’usage.