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passent le Rhin, je serai obligé de m’y opposer et les princes de l’empire feront de même… Si votre maître fait la guerre à l’empereur, je le prie de se souvenir que le Hanovre est à une petite distance de chez moi, et que j’y peux entrer quand il me plaira. Avez-vous rendu compte à votre cour de la conversation de l’autre jour ? — Je lui dis que j’en avais rapporté la plus grande partie et que je transmettrais aussi ce que Sa Majesté voulait bien me dire. — Et combien de temps faudra-t-il pour que ce rapport arrive en Angleterre ? — Sire, mon courrier partira demain à quatre heures du matin, en même temps qu’il emportera les ratifications du traité d’alliance défensive, conclu par vous avec le roi mon maître. — En tout, ajoute Hyndford, le roi de Prusse est comme un fou dès qu’il parle de l’empereur. »

Ce fut encore le pauvre Podewils qui reçut le contre-coup de ces folies. Dès qu’Hyndford, qui ne manqua pas de l’aller trouver, lui eut conté ce nouveau débat, le comte, haussant les épaules et levant les yeux au ciel avec un air de surprise et de compassion, s’écria : « Je voudrais pour l’amour de Dieu que le roi cessât de parler d’affaires publiques avec les ministres étrangers, ou qu’il se chargeât de les conduire à lui seul, tant j’en suis malade. Et quand vous a-t-il parlé ? Est-ce avant ou après souper ? — Après, lui dis-je. — Il faut donc qu’il ait été pris de vin. » Je lui répondis que les menaces que font les rois quand ils ont le vin en tête portent souvent leurs conséquences quand ils sont dégrisés, et qu’un ministre moins froid que moi aurait pris ce langage pour une déclaration de guerre… « Mon cher lord, me dit le comte, vous savez que nous disons tant de choses que nous ne faisons pas, et si vous rapportez cette saillie à votre cour, présentez-la, de grâce, sous le meilleur jour possible. » Je lui répondis que le temps était venu de ne rien cacher, et que d’ailleurs son maître m’avait enjoint de tout porter à la connaissance de ma cour et paraissait attendre impatiemment sa réponse. « Il est certain, dit le comte, que le roi mon maître est effrayé de voir l’empire devenir le théâtre de la guerre. Mais quant à attaquer le Hanovre, je vous jure qu’il n’y a jamais songé. — Monsieur, lui répondis-je, ni vous, ni personne ne sait ce que le roi de Prusse fera ou ne fera pas ; il ne consulte personne et ne suit aucun conseil. Mais il répondra de toutes les folies qu’il ferait. Quoique le roi mon maître soit un plus jeune électeur que celui de Brandebourg, souvenez-vous qu’il est pourtant un beaucoup plus grand roi,.. et que si on en vient aux mains, la question sera de savoir qui des deux a la plus longue épée et la plus grosse bourse. Faites l’usage que vous voudrez de ce que j’ai l’honneur de vous dire[1]. »

  1. Hyndford à Carteret, 17-20 décembre 1742. (Correspondance de Prusse. — Record Office.)