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le sujet de Port-Royal, a précisément contribué au succès du livre de Sainte-Beuve ; il a amené les esprits à en comprendre la haute valeur littéraire. Ce qui avait paru d’abord un sujet bizarre, choisi dans un coin obscur de la littérature théologique, maintenant considéré au point de vue de cette restauration de nos antiquités classiques, au point de vue plus élevé encore de la lutte entre la raison et la foi, reprenait une valeur et une vie nouvelles, et on était mieux préparé à comprendre le génie propre de Sainte-Beuve que l’on n’avait pas encore deviné dans ses études antérieures : à savoir ce sens psychologique profond qui transformait la littérature en une vaste expérimentation morale et humaine. Le livre admirable de Port-Royal, dont les premiers volumes avaient été très froidement accueillis, a été entraîné à son tour dans la popularité que Cousin avait faite au sujet. L’auteur lui-même, de son côté, s’était débrouillé et dégagé ; les derniers volumes sont bien plus vifs que les premiers, et la concurrence de Cousin n’empêcha nullement Sainte-Beuve de faire à son tour une étude très neuve et très profonde sur Pascal[1]. Si nous passons maintenant aux écrits de Victor Cousin sur l’Histoire des femmes illustres du XVIIe siècle, nous lui trouverons dans cette entreprise deux prédécesseurs : Kœderer, dans son Histoire de la société polie, et Walckenaer dans son livre si complet sur Mme de Sévigné et son Temps ; mais ces deux ouvrages, n’étant pas soutenus par l’éclat du style et par le nom de l’auteur, étaient restés des travaux secondaires, le premier plus littéraire, le second plus érudit, connus des curieux, mais n’ayant pas pénétré dans ce qu’on appelle le grand public. Ici encore, le don signalé par Sainte-Beuve se manifesta avec le même bonheur. Tout le monde se passionna pour ou contre les héroïnes de M. Cousin ; on plaisanta sur ses passions rétrospectives et sur son goût pour les beautés opulentes du grand siècle : en un mot, on le lut, on le critiqua, on en parla, et un nouveau chapitre littéraire de notre histoire fut créé.

Que M. Cousin, séparé des affaires, éloigné de la philosophie, ait pris plaisir à distraire son imagination en la promenant dans les salons du passé et en courtisant des maîtresses idéales, il n’y avait rien là que de bien innocent et de bien légitime ; et quand on a longtemps instruit les hommes, on a bien le droit de les amuser en s’amusant soi-même ; mais ce qu’on ne croirait pas, et ce qui est pourtant vrai, c’est que, pour Victor Cousin, cette étude de pure fantaisie faisait partie de son plan de restauration du spiritualisme.

  1. Indépendamment de la question de texte qui était soulevée à propos des Pensées de Pascal, il y avait une question de fond qui mériterait grandement d’être exposée, car elle fit un grand bruit. Mais nous ne pouvons tout dire et ce serait rentrer sur le terrain philosophique.